Dans notre précédent numéro, nous avions laissé la parole à nos lecteurs pour marquer ce 500ème anniversaire. Un de ces articles parus en japonais nous a semblé plus particulièrement émouvant; c’est la raison pour laquelle nous avons demandé à son auteur, Ken de le traduire afin de le présenter à nos lecteurs qui ne sont pas tous japonophones. |
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C’était un matin de début de printemps, Avenue Hoche, je me trouvais devant le comptoir du consulat du Japon, entouré d’épaisses vitres pare-balles sur un dallage de pierre noire. J’avais déjà obtenu la nationalité française et j’allais, ce jour-là, renoncer à ma nationalité japonaise. Comme sur un nuage, je tenais dans mes mains une fiche d’état civil et quelques papiers nécessaires reçus de ma ville natale, celle d’un Japon profond. En les remettant à un jeune préposé, à travers de grosses parois vitrées je lui dis : “Je viens rendre ma nationalité japonaise”. “Sans regret?” me fit-il d’un air surpris. “Ne dois-je pas y renoncer?” lui demandai-je. “Si, c’est nécessaire” me répondit-il. “Dans ce cas-là, je la rends”. Le dialogue fut bref, et en quelques minutes, j’avais complètement rempli la démarche. C’est ainsi que j’ai abandonné ma nationalité japonaise. Mais pourquoi donc? Il y environ 30 ans, par un matin printanier, j’arrivais à la gare du Nord comme un escargot ou une espèce de crabe parce qu’on devait passer au guichet de contrôle en marchant sur le côté à cause d’un sac à dos très large. Je ne parlais pas un seul mot de français et très mal l’anglais parce que je n’aurai jamais pensé voyager à l’étranger car le Japon où j’avais été élevé, était encore pauvre. J’avais alors 21 ans, incapable de parler la langue de ce pays et sans beaucoup d’argent. En clair, je me sentais presque comme un parasite. Aussitôt, j’ai commencé à travailler à mi-temps comme plongeur dans un restaurant chinois avec mon copain consacrant le reste de mon temps à l’apprentissage du français. Depuis les années ont passé comme une étincelle. Au bout de ces 30 ans, je ne possède plus de toit familial dans mon pays natal, ma femme est française et je communique avec mes enfants en français. Je me dis que pour s’entendre ou non avec les uns et les autres, la question de la race ne rentre pas en ligne de compte et encore moins celle de la nationalité. N’envisageant aucunement de vivre au Japon, j’ai considéré que garder ma nationalité japonaise relevait d’un sentiment bien illusoire et que de toute façon je pourrai y retourner si ça allait vraiment mal. S’il m’est arrivé d’éprouver comme un sentiment de trahison à mon égard, je souhaite vivre le dernier tiers de mon existence dans un esprit franchement tranché. J’aurais pu conserver la double nationalité et je savais que je n’en tirerai aucun avantage si ce n’est le droit de vote mais choisir la nationalité française, c’est pour moi appartenir à la République Française, non pas forcément à la France, c’est me jeter dans ce creuset multiracial, multiculturel et me poser la question de savoir comment désormais y vivre. Mais tôt ou tard, je redeviendrai poussière en France, c’est en y pensant que j’ai abandonné cette illusion de la patrie Japon. C’est sous ce ciel gris typiquement parisien, que j’ai quitté le consulat en me disant qu’une nouvelle aventure commençait. Adieu Japon, ma chère patrie. Ken, le 23 Mai 2002 |