Camouflés dans des combinaisons en caoutchouc de couleur voyante, le visage caché derrière un masque de poisson exotique aux traits d’un réalisme parfait, trois énergumènes se démènent sur un rythme envoutant autour d’une pauvrette en petite tenue ligotée sur une chaise. D’humeur coquine, les “Fish-Heads”, les hommes à la tête de poisson la taquinent à la badine. Cela dure quelques secondes, c’est vif et rythmé, “pop” et déjanté, sexy et second degré, ça n’a ni queue ni tête, c’est un clip de Kyupi-Kyupi. Kyupi-qui?
Lorsque quatre copains issus de l’Université des Beaux-Arts de la ville de Kyoto décident de conjuguer leurs talents pour faire souffler un vent d’air frais sur le pop-art japonais, cela donne Kyupi-Kyupi. Formé autour d’un vidéaste de 31 ans, Ishibashi Yoshimasa, le groupe comprend également un Graphiste chargé des dessins animés de 38 ans (Emura Koichi), un sculpteur, concepteur d’images en 3D de 30 ans (Kimura Mazuka) et une chanteuse, styliste née en 1972 Wakeshima Mami. En mettant leurs énergies créatrices en commun ils tentent de renouveler la notion de Pop art, tout en régurgitant à leur façon la culture populaire des années 70.
Créé en 1996, le groupe vient de sortir sa première production, une vidéo rassemblant leurs clips immodestement intitulée: “Kyupi-Kyupi 1 million” (objectif de vente: 1 million de cassettes vidéo. Comme le souligne non sans ironie l’un des membres du groupe “Le premier jour, on en a vendu 19, ça commence plutôt bien…”). Les douze clips qui composent cette cassette donnent une idée assez précise de l’étendue de leur délirante palette. Outre les Têtes de poissons déjà mentionnées, certains clips allient la musique techno, les animations récursives traitées par ordinateur, le tout extrêmement bien fini malgré un manque évident de moyens financiers. Ça ne les empêchent pas pour autant de se montrer inventifs. Autre clip: une accorte chanteuse (Wakeshima Mami) au soutien-gorge métallique et néanmoins avenant, coiffée d’une perruque rose, accompagnée à l’arrière-plan par deux olibrius en combinaison blanche et coiffés eux de perruques de Geisha surmontées d’électrodes, les yeux dissimulés par un masque de plongée, scande avec conviction dans un micro simili-années 40 “Ça n’a rien, ça n’a rien, ça n’a rien à voir. Non vraiment ça n’a rien à voir”. Circulez!!!
Avec la dérision de ce leitmotiv repris en cadence dans un style si Kitsch que personne doté d’une once de retenue n’oserait même imaginer le reproduire en public, les membres de Kyupi-Kyupi annoncent en fait la couleur. “Nous sommes complètement subjectifs. Si l’un de nous à une idée que les autres trouvent amusante, nous travaillons collectivement à sa mise en forme artistique. Nous n’avons surtout aucun message à faire passer et refusons de réfléchir au sens “logique” de nos sketchs. Nous créons, nous nous faisons plaisir avec des sensations. Les mots ne sont pas importants, ce qui compte, c’est d’éprouver des émotions avec nos 5 sens. Voir avec les oreilles, entendre avec la langue, humer avec les yeux, toucher avec le nez, goûter avec les mains, et vice-versa bien sûr”, explique Emura.
Pour décider de leur prochain projet, les 4 compères se livrent à des exercices de style “Cadavres exquis” ajoutant chacun à leur tour des éléments à l’édifice jusqu’à obtenir un résultat qui les satisfasse. Ils limitent pour l’instant leurs activités artistiques à la réalisation de clips vidéo, vendus sous forme de compilation en cassettes, et à des apparitions “Live” dans des discothèques. Dans leur fief de Kyoto, le bouche à oreille fonctionne désormais suffisamment bien pour faire salle comble à chacune de leur “performance”. “Bientôt, les gens resteront tous chez eux à suivre sur leur écran d’ordinateur relié à l’internet des concerts et des manifestations conçues principalement pour ce nouveau public. Nous voulons au contraire redonner aux gens le goût de se retrouver dans un lieu public pour faire la fête et découvrir l’art”, explique Emura. Leur mélange de dérision et de glamour surané trouve de nombreux amateurs et leur volonté affichée de ne pas réfléchir ni de faire réfléchir est certainement un aspect non négligeable de leur succès.
Dans les années 70, Terayama Shuji utilisait lui aussi l’humour absurde et l’enchevêtrement des genres. Ses films et ses clips expérimentaux débordaient de dérision et de second degré. Mais à la différence de la bande des 4 de Kyupi-Kyupi, Terayama mettait son talent artistique et sa démesure au service d’une volonté “politique” de faire évoluer les mentalités et de déranger l’ordre établi. Rien de tout cela bien sûr chez Kyupi-Kyupi, et c’est sans doute en cela qu’ils collent parfaitement à l’air du temps. L’art pour l’art, le concept n’est pas nouveau et les 4 artistes de Kyoto s’en satisfont très bien. Mais pourquoi donc est-il “Out” de donner à réfléchir?
Etienne BarralA voir sur le Net : www3.osk.3web.ne.jp/~kyupi2/