En dehors du phénomène Kurosawa Kiyoshi (Cf. OVNI 446), l’autre gagnant du lot est le jeune (37 ans) Kore-Eda Hirokazu, dont les deux premiers films, Maboroshi (ou Maborosi, alias Maboroshi no hikari, 1995), et After life (au Japon, Wonderful Life, 1998) sortent ce I7 novembre, distribués par Connaissance du Cinéma. Kore-Eda représente assez bien cette nouvelle génération de cinéastes cinéphiles, formés à l’école d’Ozu et de Hou Hsiao Hsien, plutôt qu’à la télévision et au clip vidéo. Point d’effets de caméra ou de mise en scène tape à l’il chébran, comme chez Iwai Shunji, idole-toc des jeunes, mais un travail minutieux sur la lumière et l’espace, même si cela sent parfois un peu l’artifice. “Dans les scènes de Maboroshi, j’ai choisi à dessein les côtés des fenêtres, des engawa, des escaliers et des tunnels, comme arrière-plans où existent des ombres et des lumières.Je voulais exprimer les “vies” de chacun des personnages du film, avec des changements légers d’ombres et de lumières”, explique Kore-Eda. Les personnages de Maboroshi, Yumiko , son mari Ikuo, qui se suicide, leur fils Yuichi, et Tamio, le second mari de Yumiko, sont donc toujours inscrits dans un cadre de vie précis, soigneusement balisé de lumières et d’ombres, en évoquant le “Maboroshi”, cette illusion vue sur la mer. D’ambitions différentes, After life (1998) filme des personnages morts/vivants, qui se retrouvent dans un curieux “home” délabré, où une équipe de techniciens va les aider à rassembler leurs souvenirs les plus marquants pour recréer leur mémoire en vidéo… Kore-Eda parvient à un équilibre toujours instable entre vie et mort, réalité et illusion, avec une grande finesse de touche, malgré quelques longueurs dans les interviews du début du film (dont la durée initiale a pourtant été considérablement réduite). Mais l’authenticité des acteurs/personnages (pour la plupart non-professionnels) et la poésie du regard emportent l’adhésion. Dans un style fort différent, et après Perfect Blue, voici un nouvel “animé” de la meilleure école d’animation actuelle, ce Jin-Roh (La légende des hommes – loups) du jeune Okiura Hiroyuki. Il est symptomatique que le scénario de cette nouvelle manga-fiction soit signée de Oshii Mamoru, l’auteur déjà célèbre de Ghost in the shell. On y retrouve ses thèmes, sinon ses obsessions : le Japon est devenu un Etat totalitaire après 1945, et, à la fin des années cinquante, l’Etat a créé une force para-militaire, la POSEM (Police de Sécurité Métropolitaine), pour venir à bout des violentes manifestations anti-gouvernementales qui ouvrent le film. Le “héros” de cette histoire qui mêle réalisme socio-politique et fantastique urbain, est Fuse, un membre de la POSEM déchu de ses fonctions après avoir hésité à tuer une jeune fille rebelle, qui s’est suicidée avec sa propre bombe. Sur ce canevas insolite, au romantisme parfois hugolien (les égoûts souterrains), Oshii et Okiura ont brodé des variations sur le thème actualisé du Petit Chaperon rouge, dont Fuse trouve d’ailleurs une version en allemand… L’animation est comme toujours très soignée, et le décor urbain est particulièrement bien exploité. Enfin, last but not least, un petit distributeur indépendant et cinéphile, Cheyenne Films, nous propose l’un des remakes du célèbre premier film de Kurosawa Akira, La Légende du Grand Judo (Sugata Sanshiro, 1943), suivi de Zoku Sugata Sanshiro, 1945, aujourd’hui quasiment invisible, le négatif ayant été détruit pendant la guerre. Cette nouvelle adaptation du roman de Tomita Tsuneo a été faite par Kurosawa, qui a également produit le film pour la Toho en 1965, cette version de 2h45 regroupant les deux parties de l’original (1). Si le résultat en est loin, il n’est pas indigne d’interêt, de par le soin accordé à la mise en scène par l’honnête artisan Uchikawa Seiichiro, qui ne signa guère de films mémorables au cours de sa carrière. Le thème du film – la supériorité du judo sur les écoles du jiu-jitsu ou du Karate – est pourtant assez fort pour soutenir l’interêt d’un film assez académique et respectueux du scénario, mais qui n’a pas le souffle de l’original du Maître, et qui, en plus, rate les deux grands duels, celui des hautes herbes, et le duel final dans la neige, simplement à cause de la sécheresse d’une mise en scène trop timorée. A recommander surtout aux fans de Judo, et aux passionnés de l’uvre de Kurosawa. Max Tessier Jin-Roh (La Légende des hommes-loups), animation d’après un scénario d’Oshii Mamoru, le 17 novembre. Sugata Sanshiro (La Légende du Grand Judo), d’Uchikawa Seiichiro, le 24 novembre. |