Derrière les déboires politico-économico-financiers du Japon c’est le décès du réalisateur Kurosawa Akira qui a de loin retenu le plus l’attention de la presse française, qui n’a pas hésité à lui consacrer des pages entières dans ses quotidiens et hebdomadaires. Chacun s’attache ainsi à retracer son parcours d’homme et de cinéaste jusqu’au 6 septembre 1998, date à laquelle il est mort à l’âge de 88 ans. On apprend (ou on révise) donc que Kurosawa Akira est le descendant d’une lignée de samouraïs illustres, que son père était un ancien militaire d’une grande sévérité, et que lui-même était un gamin peureux qui préférait la contemplation à l’action. Le 1er septembre 1923 le grand tremblement de terre qui détruit une partie de Tokyo est le premier traumatisme qui marquera l’univers du futur cinéaste. Le suicide quelques années plus tard de son frère alter-ego aura également une influence morbide dans ses films.
Mais le jeune homme ne sait pas encore qu’il deviendra réalisateur. Même s’il se délecte des films américains, allemands ou français des années 20 et 30 c’est par la voie d’une petite annonce qu’il commencera le cinéma, son ambition de devenir peintre ayant été contrariée. Il débute donc en 1936 comme assistant dans les studios qui deviendront plus tard la Toho. Sept ans plus tard, il réalise son premier film, La légende du grand judo, qui s’avère être un succès auprès du public. Kurosawa réalise un certain nombre de films avant celui que tous s’accordent à considérer comme son premier chef-d’uvre, L’ange ivre, en 1950. Mifune Toshiro y tient le premier rôle. Il sera l’acteur fétiche de Kurosawa pendant 15 ans. En 1951 Rashomon révèle Kurosawa au monde entier, à sa plus grande surprise. Le film obtient le Lion d’or au festival de Venise puis l’Oscar du meilleur film étranger à Hollywood. Suivent L’Idiot (1951) d’après Dostoïevski, Les 7 samouraïs (1954), Le château de l’araignée d’après Shakespeare et Les Bas-Fonds d’après Gorki (1957), puis en 1958 La forteresse cachée, en 1964 Barberousse et en 1970 Dodes’kaden. Ce film est un tel échec commercial qu’il ruine la société de production que Kurosawa avait créée avec 3 autres réalisateurs et le mène à une tentative de suicide. Le cinéaste attend 4 ans avant de refaire un film, Dersou Ousala, grâce à des producteurs russes. Toutes ses uvres suivantes seront d’ailleurs réalisées avec des financements occidentaux, américains ou français. Kagemusha remporte la Palme d’or à Cannes en 1980. En 1985, il sort Ran, en 1990 Rêves, en 1991: Rhapsodie en août, puis en 1993 son dernier film Madadayo.
Comme l’écrit Jean-Michel Frodon dans Le Monde du 8 septembre : “Trente films jalonnent une carrière placée sous le signe d’une utopie humaniste issue des traumatismes de l’enfance et des espoirs de l’après-guerre. Mais c’est surtout la puissance expressive de ses images, proposant une synthèse entre les formes traditionnelles japonaises et les représentations occidentales qui caractérise cette uvre au lyrisme puissant”. De fait, le Japon n’a jamais véritablement reconnu Kurosawa comme un des siens. Le réalisateur, considéré comme “trop anglo-américain” était mal compris et mal aimé dans son pays, même si on avait pris l’habitude de l’appeler, non sans ironie, “L’empereur Kurosawa”. Le premier ministre lui a remis il y a quelques jours la médaille de l’Honneur national (une des plus hautes distinctions japonaises) à titre posthume. Sans doute une piètre consolation, mais au moins Kurosawa aura-t-il été apprécié internationalement de son vivant parce que, comme l’écrit Alain Riou dans Le Nouvel Observateur du 10 septembre, “ses films donnent une forme et un sens au drame de notre siècle”.
Edouard Waintrop, “Kurosawa, mort d’un maître”, Libération, 07/09/98. Armelle Héliot et Marion Thébaud, “Kurosawa Akira : le lumineux est entré dans la nuit”, Le Figaro, 07/09/98.
Jean-Michel Frodon, “La mort d’Akira Kurosawa, maître des cérémonies de la beauté”, Le Monde, 08/09/98.
Jean-Pierre Dufreigne, “Akira Kurosawa (1910-1998)”, L’Express, 10/09/98.
Alain Riou, “Kurosawa, l’enchanteur noir”, Le Nouvel Observateur, 10-16/09/98.
Marine Landrot, “Les larmes du samouraï”, Télérama, 16/09/98.