Les difficultés financières et la baisse du yen par rapport au dollar ont contribué à ramener le montant total de l’aide publique au développement (APD) du gouvernement japonais à 9,6 milliards de dollars en 1996 contre plus de 13 milliards l’année précédente, soit une réduction de plus de 35 %. Cette tendance à la baisse, qui devrait se confirmer en 1998 puisque les autorités parlent d’une nouvelle coupe de près de 10 % dans le budget alloué à l’APD, amène les responsables des fonds, les organisations non gouvernementales (ONG) et les organismes internationaux à demander au Japon d’envisager une réforme du mode d’attribution et de fonctionnement de l’aide au développement. Cette exigence n’est pas nouvelle. Depuis que le gouvernement a décidé de faire de l’APD un instrument diplomatique de premier ordre, les partenaires occidentaux du Japon et les différents organismes sur le terrain ont réclamé un changement dans l’ordre des priorités du gouvernement japonais, lequel, selon eux, devrait privilégier la “qualité” sur la “quantité”. En 1996, dans son rapport annuel sur l’APD, le ministère des Affaires étrangères avait souligné la nécessité de mettre l’accent sur “le développement humain” plutôt que sur le financement sous forme de prêts d’infrastructures qui certes contribuaient à l’essor économique des pays concernés, mais étaient aussi sources de dégradation de l’environnement et parfois de déplacements de populations.
Cette volonté a pourtant du mal à se traduire dans les faits. L’un des principaux obstacles à une réforme de l’aide publique au développement est la complexité des mécanismes administratifs dans l’attribution et la gestion des sommes allouées par le gouvernement. Pas moins de 19 ministères et agences, c’est-à-dire la quasi totalité des organismes gouvernementaux, gèrent et distribuent l’argent de l’aide au développement, les principaux étant le ministère des Affaires étrangères, le ministère des Finances, le ministère de l’Industrie et du Commerce extérieur (MITI) et le ministère de l’Education nationale. La création d’une agence ou d’un ministère chargé de l’APD constitue l’une des revendications les plus affirmées parmi les membres d’ONG et les militants de défense des droits de l’homme avec la mise en place d’un organisme disposant des moyens matériels et humains pour suivre sur le terrain l’utilisation des précieuses sommes d’argent. Actuellement, l’Agence de coopération internationale (JICA) et le Fonds de coopération économique (OECF) ont cette responsabilité. Or l’absence de coordination entre les deux entités, la définition floue de leur pouvoir et surtout des moyens limités les empêchent de mener correctement cette mission de contrôle et de suivi dans l’attribution de l’APD.
Comme le soulignait M. Yamamoto Kaitoku, ancien responsable de l’OECF, “les différentes formules d’APD – dons, coopération technique, prêts – toutes gérées par des administrations différentes, empêchent d’avoir une vision d’ensemble claire des besoins dans les pays en développement et contribuent à donner une image négative de l’aide publique japonaise. Il faut donc que l’effort financier ou technique consenti par le Japon soit concentré dans un secteur prioritaire, de sorte que les capacités de développement du pays concerné puissent être véritablement mises en valeur”. Il n’est pas certain que ce message ait été entendu dans les sphères du pouvoir. Malgré la volonté de ne plus mettre l’accent sur la quantité mais plutôt sur la qualité, réaffirmée par le gouvernement en juin 1997, on ne semble pas s’orienter vers la réforme escomptée. S’il est acquis que l’APD ne bénéficiera plus des largesses budgétaires comme par le passé, les différents organismes de gestion de l’aide publique sont peu enclins à s’entendre sur la notion de qualité. D’un côté, le ministère des Affaires étrangères souhaite renforcer la part des dons et des prêts non liés pour répondre notamment aux critiques des Occidentaux qui jugent l’APD japonaise peu respectueuse des règles définies en la matière par l’OCDE. Le MITI, pour sa part, soucieux de la bonne santé des entreprises nippones dont les carnets de commande sont peu fournis, souhaite de nouveau lier son aide à l’octroi de marchés pour ses entreprises. “Il est indispensable que l’aide fournie soit le reflet de la technologie japonaise”, explique-t-on au ministère de l’Industrie pour justifier la présence des sociétés nippones dans la mise en uvre de projets d’infrastructure financés par l’APD. L’opposition entre ces deux conceptions, qui illustre d’ailleurs très bien la “guéguerre” que se livrent les différentes administrations dans le contrôle de l’aide publique, est un handicap important pour l’application d’une réforme en profondeur de son fonctionnement.
Il est pourtant acquis que l’ensemble des décideurs japonais sont favorables à une modification du fonctionnement de l’APD. En 1997, non seulement le ministère des Affaires étrangères a créé un Comité de réflexion sur une réforme de l’aide publique à l’aube du XXIe siècle, mais le Keidanren, principal organisme patronal de l’Archipel, s’est engagé à aider les pays en difficulté. Outre la concentration déjà évoquée au sein d’un seul organisme de tout ce qui concerne l’aide publique japonaise, les diverses réflexions soulignent la nécessité de placer la protection de l’environnement au cur des priorités. C’est un changement de priorité intéressant dans la mesure où le Japon a souvent été critiqué pour avoir financé des projets très dommageables pour l’environnement. Les exemples de barrages en Indonésie ou en Inde, souvent repris dans les médias par les écologistes et les populations locales, ont amené les dirigeants japonais à réviser leur politique en faveur de l’environnement. Mais la tâche n’est pas facile comme l’expliquait l’Asahi Shimbun dans un article appelant à “détruire la forteresse bureaucratique qui étouffe l’APD” et à donner aux ONG qui possèdent une plus grande expérience et une meilleure connaissance du terrain les moyens de travailler pour répondre aux besoins des pays nécessiteux.