La visite d’État de l’Empereur et de l’Impératrice du Japon en Grande Bretagne a bien mal commencé, le 26 mai dernier. Quelque 2000 anciens prisonniers de guerre d’Asie du Sud-Est et survivants des camps de travail japonais ont ostensiblement tourné le dos au carrosse qui les menait avec la Reine Élisabeth à Buckingham Palace et se sont mis à siffler l’air du film Le Pont de la Rivière Kwaï. De nombreux britanniques, qui n’ont pourtant pas connu les épreuves de cette guerre, étaient venus leur prêter main forte pour conspuer la délégation nippone. Pour les associations de prisonniers d’Asie du Sud-Est, en effet, le Japon devrait présenter des excuses plus explicites et revenir sur les compensations financières très modiques accordées au sortir du conflit pour les souffrances endurées. Ni les tentatives de Tony Blair (qui préfère regarder vers l’avenir, c’est à dire les 65000 emplois financés par les investissements japonais en Grande-Bretagne) pour calmer leur acrimonie, ni les explications du porte-parole de l’Empereur (selon lequel Akihito n’est pas autorisé à faire des excuses au nom du gouvernement) ne les ont dissuadé de manifester leur colère. Hasard de l’histoire, au même moment sortait sur 145 écrans japonais une superproduction à la gloire du Général Tojo, condamné et exécuté en 1948 pour crimes contre l’humanité. Son titre : Pride, The fatal moment c’est à dire Fierté, le temps du destin, résume à lui tout seul le point de vue de ses auteurs. Tojo est dépeint tour à tour comme un samouraï héroïque et un grand père gâteau. Mais le film sert surtout de prétexte à une mise en cause du procès de Tokyo et à accréditer la thèse en vogue selon laquelle le Japon a payé sa dette dans les bombardements atomiques. La Chine, toujours prompte à déceler la moindre trace de négationnisme chez son voisin a immédiatement réagi en dénonçant une “justification du militarisme”, forçant le gouvernement japonais à publier un communiqué dans lequel il affirme que ce film “ne reflète en aucun cas” sa position. Gageons que si ce film passe jamais en Grande-Bretagne, il y sera fort mal accueilli.
Frédérique Amaoua, “Un criminel de guerre devient un héros japonais à l’écran”, Libération, 21/05/98.
Jacques Duplouich, “Akihito conspué par les vétérans britanniques”, Le Figaro, 27/05/98.
Caroline Jurgenson, “Révisionnisme sur grand écran”, Le Figaro, 27/05/98.
“L’empereur Akihito hué par les survivants de la guerre avec le Japon à Londres”, Libération, 27/05/98.
Philippe Pons, “Le négationnisme fait recette au Japon”, Le Monde, 30/05/98.
BUBBLE
Saito Susumu était un agent immobilier milliardaire. Parti de rien, il possédait 7 agences et était propriétaire de 7400m2 à Tokyo en 1988. L’éclatement de la bulle lui a fait tout perdre, alors il en a fait une chanson : Bubble, qu’il interprète sur les trottoirs de Tokyo. Sa chanson met en cause la responsabilité du gouvernement “qui sacrifie le peuple pour couvrir ses erreurs”. Il a d’ailleurs intenté un procès à l’État pour demander réparation de la brusque chute de l’immobilier. En attendant, Bubble lui a valu un petit succès médiatique, un passage à la télévision et des lettres d’encouragement du public. Et puis son ambition, lorsqu’il est monté à la capitale en 1970, était de devenir un chanteur célèbre et non agent immobilier. Peut-être son destin l’a-t-il rattrapé.