J’aime pas la Tour Eiffel!”. De la part d’une jeune Japonaise plutôt bien élevée, voilà une affirmation qui démontre un goût artistique certain, et un non moins certain goût de la provocation. Ça tombe bien, Mami-chan est à la fois artiste, pianiste pour être tout à fait rigoureux, et provocatrice, ce qui est encore mieux. Quand ses doigts courent sur le clavier, on sent bien qu’elle a passé plus de temps à faire des gammes qu’à se vernir les ongles et pourtant, elle n’affiche aucun respect pour les classiques. Au détour de ce qui pourrait être un prélude de Chopin, elle fait un pied de nez à l’illustre, laisse sa fantaisie prendre le pas sur la partition et enchaîne sur un rythme qui lui convient mieux, sans hésiter au besoin à utiliser toutes les ressources insoupçonnées d’un minuscule piano d’enfant pour saupoudrer son improvisation de quelques notes aigrelettes. Bref, Mami-chan met l’espiéglerie en musique! do ré mi fa sol la ma li ce!
Installée à Paris depuis cinq ans, Mami-chan a été repérée par Benjamin Barouh. Digne fils de son père Pierre, à qui l’on doit Brigitte Fontaine, David McNeil, Philippe Léotard et tant d’autres, Benjamin Barouh reprend le flambeau et s’emploie à faire connaître les artistes de son temps. Et avec Mami-chan, son temps n’est pas perdu. En s’éloignant du Japon, elle s’est libérée du carcan de son éducation musicale classique pour retrouver son cœur d’enfant. Depuis son piano n’est plus son instrument mais le jouet de son imagination.
Des débuts prometteurs Comme des milliers de jeunes Japonaises, Mami-chan a débuté le piano pendant sa petite enfance, faisant des gammes pendant que les autres enfants passaient leurs soirées dans les jukus. Ballottée entre ses rêves de pianiste virtuose et l’astreinte d’un apprentissage dénué de toute fantaisie, elle troque son enfance contre une chimère aux touches d’ivoire et d’ébène. Mais la chimère se fait de plus en plus grimaçante. Ce n’est qu’à l’adolescence qu’elle prend conscience d’avoir sacrifié ses poupées sur l’autel triste de la musique classique. “En fait, les cours de musique au Japon sont conçus pour parvenir à un idéal dont il faut s’approcher le plus possible en l’imitant. Il n’est laissé aucune place à l’expression libre. L’idée de s’amuser avec son instrument est inconcevable pour les professeurs de musique japonais” se souvient-elle.
Entrée en rebellion contre l’instrument de sa tyrannie, Mami-chan passe les années qui suivent à vivoter de petits boulots qui n’ont plus rien à voir avec la musique. Elle se laisse porter par la vie, tantôt vendeuse, tantôt serveuse de restaurant, préférant tremper ses mains dans l’eau de vaisselle plutôt que de se retrouver enchaînée au clavier d’un piano.
“Je suis excessive. Moi, c’est tout ou rien” Un séjour à Londres, où elle découvre le mouvement punk, puis un départ sur un coup de tête pour Paris, lui ouvrent les yeux. De la France, elle ne connaît rien lorsqu’elle débarque sur le pavé de Paname en 1993. Elle ne parle bien entendu pas un mot de français. Qu’importe. “Je suis excessive. Moi, c’est tout ou rien. Au moins en venant à Paris, j’étais assurée de repartir à zéro. Et puis, la France est un pays plein de pauvres, c’est très bien pour se remettre en question”.
A Londres, la “zone” est trop branchée ce qui lui donne un côté mignon. A Paris, c’est sale, vraiment sale, il y a plein de clochards partout, donc il y a plus d’énergie qui se dégage”. Avec Mami-chan, on est vraiment très loin de la Tour Eiffel et des cartes postales en quadrichromie “Souvenir de Paris”.
Ayant enfin trouvé sur cette Planète le Zéro absolu qui lui permettrait de rebondir après avoir touché le fond, Mami-chan à Paris ne pouvait plus que remonter vers la surface. Ce qu’elle fit. Six mois après son arrivée en France, elle avait engrangée suffisamment d’énergie sur les trottoirs crottés de notre belle capitale pour composer le premier titre dont elle était fière. On ne vantera sans doute jamais assez les vertus cliniques de la Bohème parisienne pour remettre du plomb dans les cervelles déboussolées.
Paris, une ville qui lui va bien Depuis, elle survit en donnant des cours de piano (“mais attention, avec moi, les enfants s’amusent!”) tout en faisant ses premiers pas professionnels. Elle a accumulé suffisamment de matériel pour sortir un disque (“Otonamopée” Ed. SARAVAH, collection PoPo Classic) et se produire sur scène avec le Mami-chan Band ou d’autres artistes aussi espiègles qu’elle. Devenue adulte, elle s’offre le luxe désormais de revisiter la musique classique avec un vrai cœur d’enfant, l’affuble d’un gros nez rouge de clown Punk, joue avec les partitions, jongle avec les octaves, se dissimule pour rire derrière une contrebasse complice, jette une pincée de glamour au second degré à son public avant de se lancer avec un sourire de coquine malicieuse dans des morceaux aux titres évocateurs: “Mon père communiste et ses amis à la patinoire”. Sur scène, ses petites mélodies interprétées avec brio transforment la salle de concert en foire foraine, il y a du Fellini chez cette artiste qui embrouille consciencieusement les genres les plus divers, recréant un univers bien à elle, sans doute celui auquel rêvent les enfants lorsqu’ils posent pour la première fois leurs petits doigts boudinés sur les touches trop grandes d’un imposant piano noir. Mami-chan, reste à Paris, c’est une ville qui te va bien!