C’est le 5 décembre 1996 que la commission intergouvernementale de l’UNESCO, composée de 21 membres s’est réunie à Merida au Mexique et a décidé de classer le dôme d’Hiroshima sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité, qui a pour objectif de préserver les lieux de mémoire collective.
Le dôme a été inscrit en même temps que le sanctuaire shintô Itsukushima de l’île de Miyajima dans la préfecture de Hiroshima, célèbre pour être en grande partie bâti sur l’eau. Avec le dôme et le sanctuaire shintô, ce sont ainsi, pour le Japon, 8 sites qui sont classés patrimoine culturel de l’humanité, parmi lesquels le temple Horyuji de Nara, le château de Himeji, l’île de Yakushima, la chaîne de montagne Shirakami. En un geste symbolique, les membres du groupe de soutien qui ont milité pour obtenir le classement du dôme, ont répandu au pied du bâtiment, en signe de purification, de l’eau apportée précisément du sanctuaire shintô Itsukushima.
Le dôme, qui, le 6 août 1945, au moment de l’explosion atomique, se trouvait non loin de l’hypocentre, est le seul bâtiment dont les armatures ont résisté à la déflagration. Servant de hall d’exposition et de promotion industrielle, spécialement pour les produits de la préfecture d’Hiroshima, sa construction avait été achevée en 1915 d’après les plans de Jean Letzel, un architecte tchèque.
Dès la fin de la guerre, sous l’impulsion de la municipalité d’Hiroshima et du gouvernement japonais, la décision fut prise de préserver ce bâtiment fantôme, surmonté d’un squelette en ferraille, son dôme. Butte témoin de la tragédie, elle est le symbole d’une ville qui se souvient et à laquelle rendent hommage chaque année 1,5 million de touristes dont près de 230 000 Américains. Ce «dôme de la bombe A» est l’un des 59 monuments qui rappellent les évènements, parmi lesquels on peut mentionner, entre-autres, le monument érigé par la compagnie du gaz à la mémoire de ses employés disparus, la tour d’horloge, inaugurée en 1967, avec ses aiguilles bloquées sur l’heure fatidique de 8h15. Autant de repères pour ne pas oublier. Avec le dôme, c’est le parc du mémorial où se dresse le cénotaphe en forme d’arc, de l’architecte Tange Kenzo, abritant les noms de tous les morts de la bombe (176964) consignés dans 59 volumes, et le musée du souvenir, qui attirent le plus grand nombre de visiteurs.
Des milliers d’élèves japonais s’y rendent au moins une fois dans leur vie en pèlerinage, groupes compacts, attentifs devant les photos, plans, animations, objets témoins, et lettres de protestations des maires de la ville adressées aux ambassades des pays qui procèdent à des essais nucléaires. En plus de ces lieux et bâtiments de la mémoire, qui fixent l’instant de l’histoire, les personnes atomisées (hibakusha), survivantes de l’explosion, forment la mémoire vivante de la ville: il s’agit de ceux qui ont été directement exposés à la bombe, de ceux qui dans les deux semaines qui suivirent la tragédie se sont rendus dans un rayon de 2 km du point d’impact, enfin des secouristes ainsi que des enfants en gestation ce 6 août 1945 et dont les mères appartiennent aux trois catégories évoquées.
Cité martyre, ville mémoire
Hiroshima qui est jumelée avec Volgograd (ancienne Stalingrad) et Pearl-Harbor, continue aujourd’hui d’asseoir sa réputation de centre international de la paix en accueillant conférences et rassemblements pacifistes, et en recevant en pèlerinage certaines grandes figures de notre temps comme Jean Paul II, Mère Thérésa, ou encore Gorbatchev.
La ville assume aujourd’hui complètement son passé après avoir connu deux censures de son histoire: la première, celle du régime militaire japonais qui durant 9 jours, entre le 6 août 1945 date du bombardement et le 15 août date de la capitulation et de la fin de la guerre, n’a rien révélé au public; la deuxième qui durera jusqu’en 1952, celle du régime américain d’occupationÅ@pendant laquelle il fut fait allusion le moins possible aux souffrances des victimes et aux maladies postatomiques, même si souvenirs et manifestations pacifiques commencèrent dès le 6 août 1946. Ajoutons que la ville elle même n’a longtemps vu que les conséquences du désastre, «oubliant» les causes, omission partiellement réparée en 1994 par l’ouverture au musée d’une section consacrée à «l’avant bombe atomique ».
C’est en 1994, sous l’impulsion de son maire Hiraoka Takashi, et d’une association regroupant des membres de la municipalité d’Hiroshima ainsi que l’association de l’UNESCO au Japon, qu’un symposium organisé à Tokyo proposa au comité de sélection le classement du dôme. Ce classement a pourtant suscité, quelques jours avant la réunion de la commission de l’UNESCO de décembre 1996, l’opposition des Etats-Unis qui estimaient notamment que les sites liés à la guerre sont par nature sujets à controverse et ne devraient donc pas être reconnus comme patrimoine mondial. Pour les Américains en outre, dans le cas précis d’Hiroshima, cela risquerait d’occulter les raisons historiques qui ont conduit au lancement de la bombe. De fait, pour nombre de Japonais aujourd’hui, les éclairs atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki effacent toute idée de responsabilité dans les atrocités commises par l’armée impériale et en font uniquement des victimes: la guerre du Pacifique commence et finit encore souvent pour eux à Hiroshima. La Chine, par la voie d’un de ses officiels, a également exprimé sa réticence à un tel classement, rappelant les souffrances endurées par son peuple du fait de la guerre d’agression menée par son voisin.
La décision de la commission a donc été jugée particulièrement significative par le maire d’Hiroshima qui voit là l’aboutissement de la volonté de la municipalité de préserver le dôme, et l’encouragement à continuer le combat pour l’abolition totale des armes nucléaires. Pour justifier sa décision et répondre ainsi à l’opposition des Etats-Unis, l’UNESCO a fait observer que le camp de concentration d’Auschwitz figure déjà sur la liste des monuments du patrimoine historique mondial.