Cette alternance a été lourde de conséquences pour la structure musicale, le système tonal et la notation. Bien des erreurs ont été commises par les musicologues qui ont méconnu cette distinction capitale de la musique japonaise traditionnelle.
Un cloisonnement socio-musical
Chaque classe sociale possède sa propre musique, avec sa notation, ses techniques et ses instruments spécifiques. Ainsi l’organisation de la musique est-elle fortement marquée par le milieu social et l’époque où elle s’est développée, reflétant en quelque sorte le compartimentage hiérarchique lié à l’ordre féodal. Par suite de sa haute spécialisation, le musicien ne peut pas davantage passer d’une forme musicale à l’autre qu’il ne peut changer de classe sociale, de sorte que chaque couche sociale en arrive à posséder son propre langage musical.
Le caractère rituel est un autre aspect remarquable avec sa stylisation extrême, qui donne l’impression d’une cérémonie où rien n’est laissé au hasard. Plus que tous les pays extrême-orientaux, le Japon a développé ce ritualisme musical, conforme à l’idée que l’art n’est pas un simple divertissement mais “une voie” (dô tels que jûdô, sadô, kôdô, kendô , etc…), une sorte d’exercice spirituel. Le statisme, lié à la stylisation rituelle de gestes lents, est dérivé du principe fondamental de l’esthétique japonaise, Jo-ha-kyu (introduction, briser, rapide) qui évite consciemment les contrastes brusques des phases successives dans leur vitesse de déroulement, ainsi que l’intensité et la densité sonores (nombre de notes). Cette mutation progressive mène les auditeurs à des paroxysmes tout en gardant une conscience lucide.
Technique vocale et instrumentale
Malgré les différences entre les genres ou les interprètes, la technique musicale est caractérisée par certains traits communs, aux antipodes de celle des instruments de la musique classique occidentale: vibratos irréguliers et très amples, fluctuation des sons, gravité des timbres, attaque glissante par dessous, pour la technique vocale. Quant à la technique instrumentale, elle recourt à des procédés spécifiques, en particulier les glissandi, la répétition accélérée d’une note, l’ondulation des sons, et des bruitages comme le bruit du souffle, de la frappe sur la table d’harmonie du biwa, des cris dans le nô, et du frottement des cordes du koto, etc… On exploite davantage les ressources psycho-physiologiques pour engendrer une intensité sonore subjective plus forte que la musique occidentale fondée sur une spéculation rigoureuse et le calcul intellectuel.
T.A.
Partition de biwa
copie datant de 773