Sous le terme de gagaku (musique de cour), on regroupe quatre genres: le mikagura, doté d’une fonction rituelle, sert aux célébrations du culte
shintô; les pièces instrumentales (kangen), dansées (bugaku), et vocales (utamono) ont une fonction profane. Le mikagura, culte des ancêtres, se déroule devant l’autel des sanctuaires shintô depuis le coucher du soleil jusqu’à l’aube, en présence de l’empereur, ou de ses représentants (on ne doit pas confondre le mikagura avec la musique folklorique appelée okagura, sorte de danse mimant un récit mythologique japonais). Les deux churs chantent en alternance des poèmes avec accompagnement de trois instruments: hichiriki, yamatobue, et wagon. Les kangen, pièces instrumentales classées en deux catégories: sahô et uhô, se différencient sur plusieurs points. Dans l’uhô, l’accent est mis sur le contraste entre la ligne mélodique et le rythme afin de compenser l’absence d’harmonie, la structure reposant sur des quintes superposées. Les pièces de sahô se caractérisent par leur statisme en raison de la tenue harmonique, aiguë, émise par le shô, (orgue à bouche).
La mélodie hétérophonique est jouée par le ryûteki (flûte) et le hichiriki (hautbois) et elle est harmonisée par le shô. Il s’y superpose des formules mélodiques jouées par le sô (cithare) et le biwa (luth) et des formules rythmiques fixes frappées par le shôko (gong), le taïko (tambour à mailloches) et le kakko (tambour à baguettes). Le bugaku, pièce de danse, se compose de trois parties suivant le principe de jo-ha-kyû. L’introduction (jo) pendant laquelle les danseurs entrent en scène sur la musique d’oibuki, canon à l’unisson. La partie centrale, pièce à danser débute lentement (ha) pour aboutir à un rythme assez rapide (kyu). L’utamono, pièce vocale, se classe en deux genres: poèmes en chinois, rôei, et poèmes en japonais, saïbara. Chaque section est amorcée par l’intonation du chef de chur avec ses plaquettes de bois, puis le chur chante à l’unisson avec un accompagnement instrumental.
Gagaku: musique de cour.
Photo: Kishi Mariko.
Une classe de shô
( instrument du gagaku)
à l'école primaire.
Le shÔmyÔ
Le terme de shômyô (chant liturgique bouddhique) désigne l’ensemble des chants mélismatiques et psalmodiques qu’exécutent les moines, à l’unisson ou en canon pour le culte bouddhique. On distingue deux écoles de shômyô au Japon: la secte Tendaï fondée par Saïchô et Ennin; et la secte Shingon par Kûkaï. Les cérémonies se distinguent selon qu’elles sont régulières (reiji) – quotidiennes, mensuelles ou annuelles comme le 15 février qui marque l’anniversaire de la mort de Bouddha – ou occasionnelles, célébrées à des fins de rédemption (kômyô-ku). Par ailleurs on trouve trois langues: des chants en sanskrit comme shichi bongosan (hymne sanskrit aux quatre sagesses); des chants en chinois comme Unga baï (demande de la révélation du secret qui mène à l’illumination) et enfin des chants en japonais comme Hokke santan (louange au Sûtra du Lotus).
Tsuruta Kinshi, grande musicienne de biwa
connue pour "November step"
Le nÔ
Il s’agit d’une forme théâtrale masquée, constituée de quatre éléments: musique, dramaturgie, littérature et chorégraphie. Ce théâtre traditionnel est le résultat de la fusion, au XIVe siècle, de deux divertissements populaires au siècle précédent: le sarugaku et le dengaku. Cette fixation est due à deux grands acteurs, Kan’ami qui introduit la danse et le chant dits kuse du dengaku, dans le sarugaku, et son fils Ze’ami qui fait du nô une forme théâtrale raffinée pour répondre à l’exigence de Yoshimitsu, troisième gouverneur du gouvernement Ashikaga, mécène et esthète distingué. On distingue 5 catégories de nô selon que le personnage principal (shité) est un dieu, un héros, une héroïne, un fou, ou un démon. La musique du nô comprend des parties instrumentales et vocales. Les instrumentistes jouent les préludes, les interludes et les pièces de danse et accompagnent les chants.
La partie vocale est assurée par les acteurs (tachikata) et le choeur (ji-utaï). Quatre instruments sont utilisés dans le nô: une flûte traversière (nô-kan), proche du piccolo occidental, qui possède sept trous latéraux; un tambour d’épaule (ko-tsuzumi), qui permet de produire quatre sons de hauteur différente en jouant sur la tension des cordes qui relient les deux membranes placées aux deux extrémités du fût; un tambour de hanche (ô-tsuzumi), un peu plus grand que le précédent qui ne donne qu’un seul son aigu et sec; un tambour à battes (taïko) qui n’intervient que dans la dernière section de certaines pièces servant à créer des rythmicités plus intenses, plus denses et plus rapides pour accompagner des danses animées comme hataraki, (mouvementé), ou le dernier chant du chur (kiri ).
Yatsuhashi Kengyo (1614-1685). Grand maître aveugle du 17ème siècle.
est le résultat d’un véritable travail collectif: Fujiwara Yukinaga en a écrit le texte, composé par un musicien aveugle du chikuzen môsô, nommé Jôbutsu, à l’aide de Jichin, l’Abbé du Hiei-zan. C’est un récit tiré de l’épopée des Heike dont la structure est assurée par des parties instrumentales (bachi), des chants (hikiku), et des parties parlées (shira-goe).
Le koto
Le koto, cithare à 13 cordes, est l’un des instruments les plus anciens du Japon. Cependant, les pièces que l’on entend aujourd’hui ne remontent qu’au XVIè siècle et proviennent du répertoire recueilli par Kenjun, moine du temple Zendôji, dans le nord du Kyûshû. Yatsuhashi, fondateur de l’école qui porte son nom, a inauguré une nouvelle ère en modifiant le mode de ritsu du gagaku (mode de ré) en mode hémitonique constitué de deux quartes disjointes (ré, mi b, sol et la, si b, ré).
A la fin du XVIIè siècle apparaît une nouvelle école, celle d’Ikuta, suivie par celle de Yamada. On distingue deux genres: les danmono, pièces instrumentales pour solo, sont composées de sections (dan) comme hachidan (huit sections) et les pièces vocales, utamono qui se subdivisent en kumiuta, suite de poèmes chantés et tégotomono qui sont constituées de chants où s’intercalent des parties instrumentales
importantes.
Satsuma-biwa et Chikuzen-biwa
Ces deux formes de récit et de chant accompagnées du biwa se sont développées à partir du môsô-biwa, textes bouddhiques chantés par des moines aveugles du Kyûshû, en s’accompagnant du sasa-biwa. Le satsuma-biwa qui s’est développé au sud du Kyûshû avait deux styles au XVIIIè siècle: le style martial (shifû), pathétique et viril; et le style citadin (chôfû), plus élégant. Au XIXè siècle les deux styles ont été unifiés par Ikeda Jinbei pour aboutir au style de satsuma-biwa d’aujourd’hui.
Le shakuhachi
Le shakuhachi est une flûte de bambou taillée en biseau qui possède aujourd’hui cinq trous, mais le Japon a connu quatre sortes de shakuhachi: gagaku shakuhachi, tenpuku, hitoyogiri, et fuke shakuhachi.
En 1670 la secte Fuke obtient la protection gouvernementale et le shakuhachi devient l’apanage des moines itinérants (komusô), qui prônent des principes tels que “le souffle de la flûte, c’est la voie de l’illumination”, etc. Au XVIIIè siècle, Kurosawa Kinko fonde sa propre école avec un répertoire qui comprend d’anciennes pièces de hitoyogiri ainsi que ses propres uvres. A la restauration de Meiji, le gouvernement abolit le privilège de la secte Fuke; ainsi on assiste à la naissance de plusieurs écoles de shakuhachi tels que Tozan à Osaka, Meian à Kyoto, etc.
Le shamisen
Le shamisen, luth à long manche à 3 cordes importé de Chine, au milieu du XVIè siècle, est devenu très vite l’instrument préféré de la classe citadine en supplantant le biwa. Il accompagne deux genres vocaux: d’une part, les chants narratifs (katarimono) comme gidayû, katô et ichû, qui se divisent au XVIIIè siècle, en bungo, Shin-naï, tokiwazu, kiyomoto; d’autre part, les chants mélismatiques (utamono) comme jiuta, nagauta, ko uta. Les chants narratifs sont étroitement associés au bunraku (théâtre de marionnettes) et au kabuki (théâtre chanté et dansé), ainsi qu’aux divertissements populaires comme le sekkyô-bushi, et le naniwa-bushi, tous deux composés de longs textes chantés et récités avec accompagnement de shamisen. La musique de bunraku doit beaucoup à Takemoto Gidayû qui a fixé le style narratif et mélodique du Jôruri, appellation générale des chants narratifs, en collaboration étroite avec le grand dramaturge, Chikamatsu Monzaemon. La musique de kabuki utilise les différentes écoles de jôruri et de nagauta pour accompagner les scènes lyriques et les danses. On y utilise également un ensemble instrumental issu du nô (hayashi), et d’autres instruments comme le tambour à battes et le tambour à baguettes, pour créer une atmosphère dramatique. Les instrumentistes jouent dans le foyer (geza), situé sur le côté de la scène et caché par un rideau.
L'ensemble Kineya, groupe de musiciens et de chanteurs qui s'efforce de présenter la musique de kabuki en dehors du théâtre.
Photo: Miyazaki Sumiyasu.
TAMBA Akira
Directeur de recherche au C.N.R.S-Paris
Ouvrages de référence sur la musique publiés par le professeur Tamba:
– La structure musicale du Nô, (du VIIIè à la fin du XIXè siècle) Klinsieck, 1974.
– La théorie et l’esthétique musicale japonaise (du VIIIè à la fin du XIXè siècle), P.O.F, 1988
– Musique traditionnelle du Japon, (des origines au XVIè siècle) Cité de la Musique / Actes Sud.
– Esthétique contemporaine du Japon. Théorie et pratique à partir des années 1930. Editions CNRS, 1997.