Que pensez-vous du saké que votre brasserie produit ? Qu’a-t-il de singulier par rapport aux autres ?
K. Y. : Je pense que le saké que la brasserie Kinoshita produit actuellement est le meilleur qu’elle ait jamais fabriqué. Cela est dû entre autres à un bon riz et un bon polissage. Bien sûr, d’autres brasseries possèdent ces qualités, mais ce qui nous différencie, c’est l’ambiance qui règne dans l’entreprise. Autour du maître brasseur (tôji), l’ensemble de l’équipe fournit un travail admirable. Tous ses membres ont à cœur de produire un saké exceptionnel. Je vous rappelle qu’on ne peut pas faire un saké de qualité avec une machine. Je crois donc sincèrement que l’humeur et l’entrain jouent un rôle important dans la fabrication du saké.
Vous avez passé votre enfance dans cette brasserie. Avez-vous quelques souvenirs à nous raconter ?
K. Y. : Je pense que la première fois que j’ai bu du saké, je devais avoir 6 ans. C’était juste avant mon entrée à l’école primaire. Comme j’étais le seul garçon de la famille, je m’amusais souvent dans la brasserie. Je me souviens que je plaisantais beaucoup avec les ouvriers dans la pièce où l’on dépose le riz cuit pour permettre au champignon kôji de se reproduire [c’est un des éléments clé dans la production du saké]. Un jour, je suis allé rendre visite aux ouvriers. Ils étaient en train de déjeuner. L’un d’eux m’a alors demandé : “T’es capable de boire combien de verre de saké ?” J’en ai avalé 7 et je suis tombé dans les pommes. Celui qui m’a proposé d’en boire s’est fait drôlement attraper par ma grand-mère.
Kinoshita Yoshito (deuxième personne à partir de la gauche au 1er rang) entouré de ses employés. Philip Harper, son maître brasseur, est assis à droite de lui.
Quel est le saké idéal, selon vous ?
K. Y. : Celui qui détermine si un saké est bon ou mauvais, c’est en définitive le consommateur. Cela dit, je pense que le saké parfait n’existe pas. Cependant, comme je l’ai déjà dit, le saké est une affaire d’hommes avec à leur tête le maître brasseur. Le saké est aussi une affaire de micro-organismes, comme le kôji ou le shubo (moût de départ). Ces micro-organismes sont vivants comme les hommes. Voilà pourquoi je crois vraiment que l’atmosphère est un élément crucial pour réussir la fabrication d’un bon saké.
Parlez-nous de la région où vous vivez ?
K. Y. : La brasserie Kinoshita se trouve à une dizaine de minutes en voiture des rivages de la Mer du Japon. Les principales activités de la région sont la pêche et l’agriculture, lesquelles bénéficient d’une nature merveilleuse. Après leur travail souvent harrassant, les gens avaient l’habitude de se réunir pour boire du saké. A cette époque, compte tenu de la proximité de la mer et du fait qu’ils buvaient en mangeant des choses salées, le saké qu’ils consommaient était très sec.
Quel est votre produit phare ? Quelles sont ses principales caractéristiques ?
K. Y. : Actuellement, le principal saké produit par notre brasserie est un Yamahai Junmaishu (saké pur riz) dont le moût de départ a été conçu selon une méthode traditionnelle. On lui a donné le nom français de Cuvée sauvage. C’est vrai que ça ressemble à un nom de vin, mais nous voulions ainsi insister sur le côté naturel. Lorsqu’il est consommé en tant que shinshu (saké nouveau), il est très agréable en bouche. Mais si l’on attend quelques années avant de le boire, ses arômes se renforcent et font de ce bon saké un saké exceptionnel et doux de goût.
Vous avez embauché l’Anglais Philip Harper en tant que maître brasseur (tôji). Qu’est-ce qui vous a amené à prendre cette décision ? Cela a-t-il été facile de faire confiance à une personne qui n’était pas japonaise, d’autant que c’est la première fois qu’un étranger occupe cette fonction clé ?
K. Y. : Cela fait deux ans et demi que Philip Harper est parmi nous. Trois mois avant de le rencontrer, notre maître brasseur était décédé et la personne qu’il avait formé pour le remplacer ne se sentait pas capable d’assumer la responsabilité de ce travail. J’étais très inquiet, car cela mettait en péril l’avenir de la brasserie. J’ai pris conseil auprès d’un spécialiste à Osaka et on m’a présenté Philip Harper. Au début, je n’étais pas sûr qu’un étranger puisse faire un saké doux, mais la passion avec laquelle il m’a parlé du saké m’a convaincu. Et je ne suis pas déçu. Depuis son arrivée, le saké qu’il fabrique est apprécié par un nombre croissant d’amateurs.
Propos recueillis par Claude Leblanc