Avec ses longs cheveux noirs, légèrement bouclés ses lunettes rectangulaires et ses grands yeux noirs, Angela Aki ne passe pas inaperçue. Vêtu comme un rappeur, une casquette posée de travers sur sa tête et sa peau noire, Jero, de son vrai nom Jerome White Jr., a lui aussi bien du mal à ne pas se faire remarquer dans les rues de Tokyo même si la capitale japonaise en a vu d’autres. Ce qui les rend aussi remarquables, c’est le statut de vedette que ces deux personnages ont acquis au cours des dernières années. Ils ne le doivent pas tellement à leur allure, mais à leur talent de chanteuse et de chanteur qui leur a permis de séduire un public bien différent. Angela Aki a fait son trou dans le monde de la pop japonaise tandis que Jero s’est imposé dans le très improbable monde du enka, chanson populaire très prisée par les quinquagénaires. Ils ont tous les deux du sang japonais dans les veines et chacun à leur manière ils ont exprimé leur attachement à l’Archipel au travers des titres qu’ils interprètent, ce qui n’est évidemment pas pour déplaire au public japonais très sensible au thème du pays natal (furusato). Ce n’est évidemment pas la première fois que des artistes venus de l’étranger font carrière au Japon. On sait aussi que dans le sumo, sport japonais par excellence, de nombreux lutteurs de premier plan sont originaires de Mongolie, de Hawaii ou même de Bulgarie. Dans l’univers de la musique, Paul Mauriat ou encore Raymond Lefèvre ont connu une seconde carrière dans l’Archipel tandis qu’une Clémentine, quasi inconnue en France, a réussi à faire vivre la chanson française auprès d’amateurs japonais en manque d’Adamo ou d’Enrico Macias. En dépit de leur talent, ces artistes ne disposent pas de ce petit quelque chose en plus que sont la maîtrise de la langue japonaise et son utilisation dans leur art. Dans la plupart de ses compositions, Angela Aki chante en japonais et aborde des sujets qui ne laissent pas indifférents le public nippon. Dans son premier album intitulé Home, la chanson titre du disque met en évidence l’attachement de la chanteuse à ses racines japonaises. “Pays natal, tu résonnes doucement dans mon cœur. Les nuits solitaires et sans rêves, je t’appelle” (furusato, kokoro no naka de ima demo yasashiku hibiiteru, Sabishi sa ga shimi tsuita yume no nai yoru ni wa Anata wo yondeiru), chante-t-elle dans le refrain. Dans de nombreuses interviews, elle a beaucoup insisté sur son enfance à Tokushima et ses racines japonaises même si elle a vécu de très nombreuses années aux Etats-Unis. Même chose pour Jero dont le lien avec le Japon est sa grand-mère maternelle qui s’est mariée avec un Africain-Américain en poste dans l’Archipel au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Très attaché à la culture de sa grand-mère qui lui a donné le goût du enka, le jeune homme a su émouvoir les foules grâce à un timbre de voix exceptionnel et son immense respect pour sa grand-mère. Le 31 décembre 2008, à l’occasion du grand rendez-vous annuel de la chanson japonaise (kôhaku uta gassen) sur la chaîne NHK au cours duquel les vedettes du moment divisées en deux camps – les rouges et les blancs – sont départagées par le vote des téléspectateurs, Jero a fait sensation avec son interprétation de Umiyuki (Neige sur la mer) et son hommage appuyé à sa grand-mère qui a fait couler de nombreuses larmes. Dans cette chanson langoureuse, il évoque la mer du Japon et un chagrin d’amour, sujet caractéristique du enka. Après avoir cherché le dépaysement musical dans les années 1980 et 1990 en s’intéressant au rock occidental puis en se concentrant sur l’Asian Pop et ses artistes venus de Chine ou de Corée, les Japonais reviennent à des valeurs locales, même si celles-ci sont véhiculées par des artistes en partie venus d’ailleurs. Claude Leblanc |
Angela Aki (haut) et Jero (bas) ont eu les honneurs du magazine d’actualités culturelles Pia qui leur a consacré sa couverture. Une présence éditoriale qui traduit la reconnaissance du public à l’égard de ces deux étoiles montantes de la chanson japonaise. |