Vous avez aimé Quartier lointain ou le Journal de mon père ? Vous adorerez Un Zoo en hiver. Avec son trait qui le caractérise, Taniguchi Jirô nous livre une nouvelle œuvre intimiste dans laquelle il raconte les débuts d’un jeune dessinateur venu de province dans l’espoir de faire une carrière de mangaka. Mais l’apprentissage est difficile. Comme de nombreux provinciaux, le jeune Hamaguchi découvre la rudesse de la vie citadine et la dureté du monde du travail. C’est d’autant plus intéressant que l’histoire se déroule à la fin des années 1960 à une époque où une partie de la jeunesse remet en cause tout cela. Mais Hamaguchi veut réaliser son rêve. Pas question de refaire le monde, simplement il veut dessiner quitte à faire des sacrifices. Taniguchi nous transmet la passion de son héros pour le dessin avec une telle finesse qu’on ne se lasse pas de le suivre pas à pas. Tel un film d’Ozu où chaque plan avait été préparé avec minutie, le nouvel opus de Taniguchi nous rappelle que derrière l’apparente simplicité se dissimule une œuvre profonde et fascinante. L’auteur d’Un Zoo en hiver nous démontre une nouvelle fois sa capacité à faire de l’or avec ce qu’il y a de plus ordinaire. Un vrai alchimiste dont on n’arrive décidément pas à se lasser.
Tandis que le Japon décrit par Taniguchi est celui qui s’apprête à devenir le troisième grand en 1969, celui raconté par Shimada Yoshichi et Ishikawa Saburô dans Une Sacrée mamie n’a rien à voir. L’histoire se déroule dix ans avant et elle a pour décor la campagne. “Sur le chemin qui menait à la maison de ma grand-mère, il n’y avait même pas de réverbère. J’avais vraiment l’impression d’être comme le Petit Poucet dont on voulait se débarrasser”, explique le jeune Akihiro dont sa mère n’a plus les moyens de s’occuper. Si l’on se contentait de lire les premières pages, on pourrait penser que l’on a affaire à un livre dont le seul but est de nous tirer quelques larmes. Pas du tout, Une Sacrée mamie est un manga plein de gaieté qui place l’être humain en première ligne. Lorsqu’on ne roule pas sur l’or, on découvre l’importance de l’entraide, on se satisfait de peu et on apprend à se débrouiller. Ce manga participe de cette nostalgie pour les années 1950 que les Japonais entretiennent depuis une décennie. Au moment où la société et l’économie se portent mal, où les valeurs se délitent, de nombreux Japonais ont besoin de repères. Le souvenir de cette période qui marque à la fois la sortie de l’après-guerre et le début de la forte croissance leur en fournit. Elle leur rappelle que leur pays a su s’adapter à toutes sortes de situations grâce à un esprit de solidarité renforcée. La grand-mère d’Akihiro en est le symbole. Ce manga adapté d’un roman autobiographique a sans doute réveillé pas mal de souvenirs chez certains lecteurs japonais qui ont retrouvé le trait de certaines œuvres marquantes de leur jeunesse comme Ashita no Jô que l’hebdomadaire Gendai a décidé de republier cette année sous forme de feuilleton. Une Sacrée mamie n’éveillera pas les mêmes souvenirs chez le lecteur français, mais ce manga est une belle leçon d’optimisme. En ces temps difficiles, on en a bien besoin.
Claude Leblanc
Jirô Taniguchi, Un Zoo en hiver, trad. de Corinne Quentin, éd. Casterman, coll. Ecritures, 15€.
Yoshichi Shimada et Saburô Ishikawa, Une Sacrée mamie, trad. de Tetsuya Yano, éd. Delcourt, coll. Akata, 7,50€.