Tandis que certains responsables politiques français évoquent le “risque révolutionnaire” et que la situation sociale est très tendue dans de nombreux pays européens (Espagne, Grèce ou encore Italie), le Japon semble lui aussi connaître un nouvel éveil des consciences, notamment au sein d’une partie de la jeunesse. Aux abords de la gare de Shibuya, quartier très fréquenté par les jeunes de la capitale nippone, il n’est pas rare de croiser des étudiants qui distribuent des tracts et tentent d’entamer le dialogue avec d’autres jeunes pour leur parler de politique. Ils insistent sur l’importance de s’intéresser au débat public et d’y participer pour peser sur les orientations futures du pays. Ils font remarquer qu’en 1967, les 20-30 ans étaient près de 70 % à voter lors des élections contre un peu plus de la moitié actuellement. Quarante ans après le face-à-face entre les étudiants et le pouvoir en place, certains jeunes semblent prêts à en découdre même si ce ne sera pas sur le terrain de la violence. Pourtant certains rêvent de guerre à l’instar d’Akagi Tomohiro, un travailleur précaire, qui a publié, en janvier 2007, dans le mensuel Ronza un texte intitulé Maruyama Masao wo hippatakitai [J’aimerais gifler Maruyama Masao]. En s’en prenant au philosophe, symbole du Japon d’après-guerre, il voulait manifester son mal-être et interpeller ses contemporains en quête, comme lui, d’une raison d’être. “La paix n’est pas une chose bénéfique, écrivait-il. Je pars travailler tard le soir pour revenir à l’aube, sans avoir eu le temps de faire une pause. Après avoir regardé la télé et surfé sur Internet, je me couche vers midi, avant de me rendre de nouveau au travail. Et ainsi de suite, indéfiniment.” A ses yeux, il s’agit d’un cercle vicieux qu’il faut détruire. “La guerre, en brisant l’ordre social, apporte une nouvelle dynamique à la société. Plutôt que de souffrir de discrimination et d’humiliation, mieux vaut la guerre et une souffrance partagée par tous”, expliquait-il. Ce texte a suscité de très nombreux commentaires au cours des mois qui ont suivi non seulement parce qu’il évoquait l’idée de “guerre” dans un pays qui y a renoncé de manière constitutionnelle, mais surtout parce qu’il appelait à un sursaut de la jeunesse et à un retour de la solidarité entre tous les exclus du système néo-libéral défendu par le gouvernement japonais depuis le début des années 2000. C’est ce que souligne Suzuki Hideo dans son livre Shinsayoku to losu jene [La nouvelle gauche et la génération perdue] qui vient de paraître chez Shûeisha. A la différence de la génération précédente qui cherchait sa voie dans les nouvelles religions, celle qui n’a connu que la crise et la précarité, a compris que l’apocalypse version secte Aum (attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo en mars 1995) ne menait à rien sinon à une nouvelle aliénation. Partageant les mêmes difficultés quotidiennes, ceux que les médias ont désigné sous l’expression Losu Jene (losuto jenerêshon de l’anglais lost generation) comme s’il n’y avait plus rien à espérer d’eux, tentent de s’affirmer et de redonner un sens à la solidarité (rentai). Le succès du roman Kanikôsen [Le navire-usine] de Kobayashi Takiji paru pour la première fois en 1929 illustre le besoin de trouver dans le passé des repères. Œuvre majeure de la littérature prolétarienne, Kanikôsen s’est vendu à plus de 400 000 exemplaires en 2008 tandis que le cinéaste Sabu (Postman Blues, 1997) a annoncé une adaptation cinématographique pour l’été 2009. Nombre de jeunes se sont identifiés à la situation décrite dans ce roman qui “a inventé une écriture capable de saisir la réalité de la pauvreté”. Ce sont les mêmes qui aujourd’hui se lancent dans le syndicalisme et des opérations visant à défendre leurs droits et leurs points de vue. Au regard de ceux qui ont connu l’agitation de la fin des années 1960, cette mobilisation peut apparaître insignifiante et superficielle (voir l’entretien avec Wakamatsu Kôji). Mais c’est leur faire injure, car le reste de la société commence à réaliser la profondeur de leur malaise et à s’en préoccuper. En décernant début 2009 le prix Akutagawa, équivalent du prix Goncourt, à la jeune romancière Tsumura Kikuko pour Potosu raimu no fune [Le bateau de scindapsus], les membres du jury ont bien sûr récompensé la qualité littéraire de ce texte, mais aussi son réalisme quant à la dureté des conditions de travail dans le Japon des années 2000. “Il nous fait saisir l’époque actuelle”, explique la romancière Yamada Eimi, membre du comité de sélection. Nul doute que la jeunesse agissante se trouve ainsi conforter dans sa conviction de faire bouger le pays. Si le “risque révolutionnaire” n’est pas d’actualité dans l’Archipel, cela ne signifie pour autant que les Japonais ont tous baissé les bras.Claude Leblanc |
Pour encourager les jeunes voter, des étudiants ont créé iVote, un système d’alerte sur portable qui avertit les abonnés les jours de scrutin. |