Du 30 septembre au 28 octobre 2008, Tokyo a accueilli le Japan International Contents Festival (Festival international des contenus du Japon) plus connu sous le sobriquet de CoFesta (www.cofesta.jp). Au moment où le pays du Soleil-levant, à l’instar de la plupart des pays de la planète, commençait à ressentir les effets de la crise financière mondiale, cette manifestation a pris une importance toute particulière aux yeux de ses organisateurs et des pouvoirs publics. Ces derniers estiment en effet que les “contenus”(musique, cinéma, jeux vidéo, animation et autres personnages issus de ces mondes virtuels) pouvaient venir au secours d’une économie nationale dont les premiers signes de faiblesse se manifestaient alors. C’est en 2007 que la première édition du CoFesta a eu lieu. Il s’agissait alors de rassembler sous une même appellation et pendant une même période plusieurs événements qui avaient lieu indépendamment. C’est ainsi que le Tokyo Game Show, le Tokyo Contents Market et le Festival international du film de Tokyo se déroulent désormais à la même époque dans l’espoir d’amener plus de participants et de dynamiser un secteur que les autorités considèrent comme un sauveur potentiel de l’économie nippone. Même si elle ne représente actuellement que 2 % du PIB japonais, le développement de l’industrie du contenu figure parmi les objectifs prioritaires du Japon dont les représentants dans le monde insistent beaucoup sous l’idée de “Japan cool” (Le Japon, c’est cool). Le succès de manifestations comme Japan Expo en France qui a réuni en 2008 plus de 130 000 personnes (80 000 en 2007) les encourage évidemment à renforcer leur politique en la matière.
Organisé dans le cadre du CoFesta, le Tokyo Asia Music Market, qui a eu lieu du 14 au 17 octobre est caractéristique de cette approche globalisante que les Japonais veulent donner aux contenus made in Japan. Jusqu’en 2007, il était réservé au marché asiatique. Depuis l’édition 2008, “les acheteurs de musique et les promoteurs de concert originaires du monde entier sont invités à participer” à cette manifestation au cours de laquelle “les œuvres et les artistes les plus en vue du Japon leur sont présentés lors de rencontres et de mini concerts”. Soutenu par le ministère de l’Economie, du Commerce et de l’Industrie, le Tokyo Asia Music Market revêt une grande importance pour ce secteur de la culture. Comme dans d’autres pays, les ventes de disques sont en chute libre depuis quelques années dans l’Archipel. En 1998, elles généraient un chiffre d’affaires de 607,5 milliards de yens. Neuf ans plus tard, elles ont été réduites de près de la moitié (333 milliards de yens en 2007). Comme ailleurs, les maisons de disques mettent en cause le piratage, mais chacun sait que l’explication n’est pas satisfaisante. Certes les téléchargements illégaux ont fait du tort à des maisons de disques qui ont profité pendant des années d’une situation favorable pour à la fois profiter des consommateurs et des artistes, mais l’une des raisons principales de ce désintérêt pour le disque, c’est la diversification de l’offre de divertissements à disposition des consommateurs. Il suffit d’emprunter le train à Tokyo pour en prendre rapidement conscience. La plupart des usagers s’affairent autour de leur téléphone portable, échangeant des courriels avec des amis, regardant la télévision, jouant en ligne ou encore surfant sur Internet. Ils téléchargent bien sûr “légalement” de la musique depuis que les maisons de disques après avoir longtemps tergiversé se sont enfin décidées à ouvrir des sites dignes de ce nom. En 2007, les ventes de musique en ligne ont atteint 75,5 milliards de yens. Un chiffre en progression, mais encore insuffisant. Voilà pourquoi, “à l’ère de la distribution numérique, en cette période où les frontières tombent, il faut favoriser la distribution de la musique japonaise à l’étranger. Il est dans notre intérêt d’attirer l’attention du reste du monde sur les productions japonaises”, explique un des responsables du Tokyo Asia Music Market.
Un autre secteur dans lequel les Japonais voudraient bien étendre leur présence est celui des jeux vidéo, en particulier les logiciels de jeux. Il est vrai qu’au niveau du matériel, les Japonais – Nintendo avec la Wii et la DS et Sony avec la PlayStation – dominent le marché. “Les Japonais ne sont pas encore au top”, reconnaissait Wada Yôichi, patron de Square Enix, l’un des leaders japonais du secteur, lors d’une conférence au Tokyo Game Show qui a eu lieu du 9 au 12 octobre 2008. Pour lui comme pour les organisateurs de cette manifestation, les Japonais sont en mesure de détrôner les sociétés occidentales comme EA ou Activision qui dominent encore les marchés européens et américains. Mais pour y parvenir, ils doivent faire preuve d’une plus grande ouverture, en produisant des jeux qui soient moins “japonais”. Un point de vue qui est partagé par Morishita Kazuki, patron de Gung Ho, autre entreprise du secteur plus spécialisée dans les jeux en ligne. Dans un entretien accordé en novembre 2008 au magazine économique Keizaikai, il expliquait son désir de faire de Gung Ho “une entreprise de divertissement globale”, soulignant la nécessité de conquérir les marchés extérieurs. Le succès aux Philippines d’un rassemblement autour de Ragnarok Online, jeu en ligne massivement multijoueur développé par Gung Ho, auquel ont particpé quelque 30 000 personnes, le conforte dans ses convictions.
L’accent mis par ces dirigeants d’entreprises spécialisées traduit bien la prise de conscience générale des acteurs de l’industrie du contenu. Tout comme les responsables politiques japonais qui jouent désormais un rôle de VRP auprès des Occidentaux pour promouvoir la culture populaire de leur pays, les industriels semblent être sur la même longueur d’onde. C’est un moment important, car rappelons-nous que dans l’histoire du Japon d’après-guerre, l’alliance stratégique de l’Etat et du secteur privé a toujours permis à l’économie japonaise de faire des miracles et de surprendre le reste du monde. Et en ces temps de difficultés économiques, nous ferions bien de ne pas l’oublier. Le monde avance, le Japon accélère.
Claude Leblanc