Mingei est un mot nouveau. C’est pourquoi il a pu être compris comme l’abréviation de minzoku geijutsu (art folklorique) ou confondu avec l’art paysan. Il a pu encore être entendu comme un mot grandiose, à savoir “art populaire”. Mais nous lui avons donné un sens bien plus sobre lorsque nous l’avons forgé en prenant le min de minshu (peuple) et le gei de kogei (artisanat ou art appliqué). Ainsi, sa signification littérale est “artisanat populaire”. En fait partie tout ce qui est nécessaire à l’existence quotidienne de chacun : vêtements, meubles, vaisselle, matériel d’écriture… Ces objets divers que l’on qualifie de frustres, peu élaborés, sont des objets mingei”. C’est en ces termes que Yanagi Sôetsu tentait de définir l’esprit mingei que l’on a retrouvé dans la très belle exposition organisée au Musée du quai Branly et qui s’est achevée le 11 janvier dernier. L’intérêt que les Français manifestent de plus en plus à l’égard de l’artisanat ou du design japonais est une nouvelle illustration de l’influence de la culture nippone dans notre quotidien. L’objet japonais prend une importance grandissante dans notre univers quotidien et les publications spécialisées comme les magazines de décoration consacrent régulièrement des articles sur ce thème et les boutiques vendant ce type de produits se font de plus en plus nombreuses. Ce qui attire dans ces objets, c’est leur proximité avec l’utilisateur. Ils ont été conçus pour répondre à un usage précis et facile. Même si de prime abord, ils ne possèdent pas la beauté d’autres produits plus sophistiqués, ils compensent très largement cette absence par le service qu’ils rendent. Et c’est dans cet usage quotidien qu’ils gagnent leur beauté. Tout comme les contenus culturels (musique, jeux vidéo, cinéma et autres manga), l’artisanat constitue un secteur sur lequel les autorités japonaises comptent beaucoup pour améliorer l’image de leur pays. A la différence des produits industriels classiques comme l’automobile qui peuvent parfois donner lieu à des confrontations (on a souvent reproché au Japon de faire du dumping avec certains produits), l’artisanat dont l’échelle industrielle est bien moindre que celle des secteurs de l’électronique, par exemple, bénéficie d’un a priori favorable notamment dans des pays où l’artisanat local n’a pas bénéficié du même soutien qu’au pays du Soleil-levant. En effet, le Japon est un des rares pays dans le monde qui considère certains artisans comme des “trésors nationaux” et entretient la pérennisation de leur savoir-faire. En ce début de XXIème siècle, le Japon semble décidé à mettre de nouveau l’artisanat parmi ses priorités comme il l’avait fait à la fin du XIXème siècle au moment où il s’ouvrait sur le reste du monde. Les foires internationales étaient alors le relais le plus adapté pour présenter les meilleurs et les tout derniers produits des nations industrielles. En 1873, le Japon décida de participer activement à celle de Vienne. S’appuyant sur les conseils d’un ingénieur allemand, Gottfried Wagner, les représentants japonais choisirent de se focaliser sur l’artisanat traditionnel comme la céramique et le textile plutôt que sur les machines et les produits industriels. Cela leur porta bonheur puisque tous les objets exposés eurent un grand succès et se vendirent très bien. A la suite de cette réussite, le gouvernement, qui avait cruellement besoin d’argent, encouragea la production d’objets d’artisanat destinés à l’exportation. 135 ans plus tard, les conditions ne sont pas tout à fait les mêmes, mais on sent bien que le Japon a besoin de s’ouvrir une nouvelle fois sur le monde après avoir vécu au lendemain de la Seconde Guerre mondiale une période de repli sur soi liée à la reconstruction et à l’environnement international. La fin de la guerre froide a bouleversé l’ordre des choses. Le Japon a besoin de retrouver une place dans le concert des nations. Certes il dispose d’une solide industrie et sa technologie est reconnue, mais il est indispensable d’y ajouter une dimension plus humaine. L’artisanat et le design sont deux éléments importants dans ce domaine, car le lien est quasi direct entre le créateur et l’utilisateur. Dans nos sociétés urbaines où les rapports humains sont dilués, on apprécie de pouvoir retrouver certaines valeurs. Comme l’écrivait encore Yanagi Sôetsu, “le naturel, la droiture, la simplicité, la solidité, la sûreté, telles sont les caractéristiques du mingei. L’artisanat populaire honnête, tel est en un mot son visage”. L’artisanat redonne un visage au Japon. Un visage qui lui permettra de trouver sa place dans le monde. Alors ne vous étonnez pas de voir de plus en plus d’objets japonais envahir notre quotidien si morose en ce moment. C. L. |
Bol à râmen (nouilles) conçu par Marubun www.marubun-arita.co.jp
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