Le 14 mai, les regards des cinéphiles du monde entier se tourneront vers Cannes. La ville deviendra le temps d’une quinzaine de jours la capitale mondiale du cinéma. Mais cette année encore, les amateurs de films japonais n’auront pas grand chose à se mettre sous la dent. Un seul long métrage représentera le pays du Soleil-levant. Il ne figure pas dans la compétition officielle, mais dans la sélection Un certain regard. Il s’agit de Tokyo Sonata de Kurosawa Kiyoshi. L’absence d’autres représentants nippons au 61ème Festival de Cannes contraste avec l’extraordinaire vitalité du cinéma japonais du moins si l’on en croit les chiffres. Voilà pourquoi il faut se demander s’il n’y a pas quelque chose qui cloche dans l’univers du 7ème art japonais, lui qui nous avait habitué à figurer dans les palmarès des grands festivals internationaux avec des cinéastes de légende comme Kurosawa Akira ou Imamura Shôhei. Certes Kawase Naomi avec sa Forêt de Mogari (Mogari no Mori) a reçu une récompense en 2007 à Cannes. Mais elle est, semble-t-il, l’exception qui confirme la règle selon laquelle le cinéma made in Japan n’a plus la cote auprès des responsables de festivals. On avait pourtant cru à l’apparition d’une relève avec Kitano Takeshi distingué à la Mostra de Venise en 1997 pour son formidable Hana-bi, mais le feu d’artifice (hanabi en japonais) s’est révélé en définitive décevant. Miyazaki Hayao a bien été récompensé à Berlin en 2002 pour Le Voyage de Chihiro (Sen to Chihiro no Kamikakushi), confirmant ainsi la suprématie japonaise dans l’univers de l’animation. Et après ?
Y a-t-il encore un metteur en scène pour sauver le cinéma japonais de la médiocrité dans laquelle il semble aujourd’hui se complaire ? La question peut sembler un peu présomptueuse dans la mesure où les résultats enregistrés par les productions nippones dans l’Archipel sont particulièrement bons. En 2006, année de référence pour les apôtres du renouveau cinématographique nippon, la part occupée par les films japonais s’est élevée à 53,2 %. C’était la première fois depuis 21 ans que les productions japonaises devançaient leurs homologues étrangères, américaines pour l’essentiel. A la même période, 404 films japonais ont été distribués contre 375 l’année précédente et on comptait 3062 écrans contre 2926 en 2005. Des chiffres pour le moins positifs qui ne satisfont pourtant que les patrons des grands studios et des chaînes de télévision dont le rôle est de plus en plus important dans le financement des films. Sur les 28 films ayant enregistré des recettes supérieures à un milliard de yens [6,1 millions d’euros] en 2006, 23 étaient produits ou financés par les chaînes de télévision qui voient dans le cinéma un bon moyen de compenser une baisse de leurs recettes publicitaires et avoir un réservoir de productions à une époque où les canaux de diffusion se multiplient. Toutefois, ces résultats ne réjouissent pas toute la profession. Il y a des voix qui s’élèvent pour dénoncer la création d’une “bulle” cinématographique à l’image de la bulle financière des années 1980. Celle-ci avait finalement éclaté, entraînant l’économie japonaise dans une profonde crise dont elle ne s’est pas encore tout à fait remise.
Shioda Akihiko, réalisateur entre autres de Gaichû (récompensé en 2001 au Festival des trois continents de Nantes), fait partie de ceux qui s’inquiètent de cette situation trop belle pour être vraie. Avec d’autres, il constate que la créativité et l’originalité cèdent leur place à la quête du profit immédiat garanti par des productions formatées et diffusées dans des complexes cinématographiques où l’on accorde très peu de place à des films d’auteurs. Il n’est donc pas étonnant de voir de moins en moins de longs métrages japonais dans les festivals internationaux. Pourtant le talent est bien là. Les cinéastes qui ont quelque chose à prouver et à exprimer ne manquent pas. Dans Tokyo Sonata, Kurosawa Kiyoshi s’intéresse à la famille au Japon, en mettant l’accent sur l’absence de communication au sein de celle-ci qui finit par tourner au drame. Nul doute qu’un thème pareil n’a guère de chances de plaire aux producteurs issus de la télévision plus habitués à des sujets légers et divertissants. Cela ne signifie pas pour autant qu’il faille produire uniquement des films pour festivals. Les décennies passées nous ont montré que la cohabitation était possible et que le public, si on lui en proposait, ne rechignait pas à regarder des films dont la finalité n’était pas seulement de remplir les poches des producteurs. Voilà pourquoi on peut garder l’espoir de voir des structures indépendantes comme Micott & Basara ou Entertainment FARM, dont l’objectif est d’entretenir la créativité des cinéastes, reprendre le flambeau abandonné par les acteurs traditionnels.
Claude Leblanc
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En France, même s’ils connaissent des difficultés, Les Cahiers du cinéma constituent la référence pour de nombreux cinéphiles. Au Japon, il s’agit de Kinema Junpô, plus connu sous son diminutif Kinejun. Depuis 1919, ce bimensuel s’est imposé dans le paysage médiatique comme la Bible en matière de critique cinématographique. Défenseur d’un cinéma de qualité, le magazine a souffert ces dernières années devant la médiocrité de certaines productions. Il a dû aussi faire face à l’offensive de nouvelles publications comme Kono eiga ga sugoi ! (Ce film est super !) qui s’intéressent davantage aux dessous du cinéma (les photos volées de certaines vedettes en sous-vêtements ne sont pas rares) qu’aux films eux-mêmes. | Kinema Junpô
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