Tous les nippocinéphiles dignes de ce nom savent que le grand cinéaste Naruse Mikio (1905-1969) fut longtemps sous-exposé en France, par rapport à ses pairs, Mizoguchi, Kurosawa, et surtout Ozu. Même si certains films majeurs des années cinquante ont été diffusés par la défunte société Alive il y a quelques années, les rétrospectives les plus importantes ont eu lieu d’abord à l’étranger (Locarno 1983, et surtout San Sebastian 1998, avec 39 films), avant celle de la Cinémathèque Française en 2001. Il était donc légitime que la Maison de la Culture du Japon à Paris (MCJP) reprenne à son tour trente films de Naruse (dont cinq inédits en France), en novembre, alors que vient de sortir l’ouvrage de Jean Narboni sur le cinéaste (voir notre note de lecture p. 15), aux éditions des Cahiers du Cinéma (le premier ouvrage en français ayant été celui d’Audie Bock, publié en 1983 par le festival de Locarno, en Suisse). On pourra donc (re)découvrir l’essentiel de l’œuvre de Naruse (qui a tourné pas moins de 87 films), de la période des superbes mélos muets à la Shôchiku (Après notre séparation (Kimi to wakarete, 1933), et du début du Parlant à PCL (ancêtre de la Tôhô), tel Ma femme, sois comme une rose, (Tsuma yo bara no yô ni, 1935), un de ses plus beaux films, jusqu’aux chefs-d’œuvre des années 1950, avec le très célèbre Nuages Flottants (Ukigumo, 1955), mais aussi Le Repas (Meshi, 1951), et Nuages d’été (Iwashi gumo, 1958, en scope-couleurs), trois films que les cinémas Action ont la bonne idée de ressortir début novembre. On a beaucoup vanté le ton élégiaque, et l’attachant pessimisme du cinéaste, surtout dans des films comme Au gré du courant (Nagareru, 1956), un chef-d’œuvre, d’après Koda Aya, ou encore Le Grondement de la montagne (Yama no oto, 1954), d’après Kawabata Yasunari, et c’est vrai. Mais il faut rappeler que, comme presque tous les cinéastes japonais de cette époque, à l’exception notable d’Ozu, Naruse s’est beaucoup inspiré de très belles œuvres littéraires, et notamment de l’écrivain Hayashi Fumiko (1903-1951), dont il a adapté à l’écran pas moins de six œuvres, comme Le repas, L’Eclair (Inazuma, 1952), L’Epouse (Tsuma, 1953), Chrysanthèmes tardifs (Bangiku, 1954), Nuages flottants et Chroniques de mon vagabondage (Hôrôki, 1962), la plupart avec la grande actrice Takamine Hideko, une légende (toujours) vivante du cinéma japonais. Par l’ampleur de son œuvre et la longueur de sa carrière, qui coïncida avec le défunt Age d’Or du cinéma japonais, Naruse a incarné le meilleur de celui-ci, en filmant à sa manière la crise du couple moderne, et en traitant avec profondeur et délicatesse de la femme, d’une autre façon que Mizoguchi. Si vous ne la connaissez pas encore, c’est bien le moment de découvrir l’une des œuvres les plus riches et fascinantes du cinéma nippon de la grande époque. Sore ja, mata, Max Tessier |
Photo : Nuages flottants (Ukigumo) de Naruse Mikio (1955) Rétrospective Naruse, le quatrième grand du cinéma japonais à la MCJP, du 2 novembre au 2 décembre. Infos sur www.mcjp.asso.fr |
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Claude Leblanc
La Ballade de Narayama, de Kinoshita Keisuke, éd. MK2 Vidéo, 2006, 24,90e.