Ouvrir un roman de Murakami Haruki, c’est comme passer de l’autre côté du miroir en compagnie de l’auteur lui-même. C’est comme partir en voyage d’exploration de nos propres sentiments et de nos façons de voir le monde. Car Murakami se pose souvent comme un observateur attentif des mœurs de ses contemporains, de leurs caractères et de leurs travers. Et il est d’autant plus facile de s’identifier aux personnages même les plus étonnants de l’œuvre de ce romancier génial. Kafka sur le rivage, qui paraîtra début janvier 2006, n’échappe pas à cette règle. La couverture qu’a choisi l’éditeur Belfond pour illustrer le roman est d’ailleurs assez parlante, puisqu’elle représente un chat — l’auteur — observant avec attention le déplacement de poissons — ses contemporains — pour mieux les croquer. Dans cet ouvrage paru au Japon en 2002 et salué par la critique comme une de ses meilleures œuvres, il pose un regard sévère sur le Japon et les Japonais. Après Underground, une enquête réalisée auprès d’anciens adeptes de la secte Aum, responsable, en 1995, d’une attaque au gaz sarin dans le métro de Tokyo, et de leurs victimes, Murakami s’est intéressé à la violence qui se terre en chacun de nous et des efforts que l’on doit faire pour y échapper dans la mesure où l’on a conscience de nos limites. Au cours des dernières années, et l’actualité des dernières semaines l’a cruellement rappelé avec l’assassinat de deux enfants, le Japon a connu une augmentation rapide des actes de violence. Que ce soit des jeunes qui pètent les plombs (kireru) ou d’adultes qui, tout d’un coup, trouvent dans la violence un exutoire à leurs frustrations, la presse japonaise a souvent fait ses manchettes sur cette dérive des comportements. De toute évidence, Murakami a été frappé par cette évolution (qui n’est d’ailleurs pas propre au Japon) et l’on peut penser que Kafka sur le rivage est le résultat des réflexions de l’auteur. Comme toujours, l’écriture est fluide et son rythme est aussi agréable qu’un morceau de jazz interprété par Duke Ellington. Le point de départ du roman est la fuite organisée d’un adolescent de 15 ans, Tamura Kafka, fils d’un célèbre sculpteur, qui veut échapper à la violence de son père. Il quitte ainsi la cité, Tokyo, pour l’île de Shikoku qui symbolise une certaine tranquillité et un havre de paix pour ce jeune homme qui a passé plusieurs mois à se préparer. “J’ai passé les deux dernières années, mes années de collège, à m’entraîner en vue de cette fugue”, raconte le jeune garçon dans les premières pages du livre. Il est intéressant de noter que Murakami a abandonné le temps de ce roman les trentenaires auxquels il nous avait habitué par le passé parce qu’il est fatigué, comme il dit, d’écrire à leur propos, mais surtout parce que l’adolescence est propice à la découverte de ce qui fait la vie, notamment des rapports avec les autres. Et ce n’est pas toujours facile. Le départ du jeune Kafka dont on ne connaîtra jamais le véritable prénom s’explique aussi par sa crainte de devoir un jour faire preuve de violence. Son père lui a en effet dit qu’un jour, après avoir couché avec sa mère et sa sœur qui se sont volatilisées l’année de ses quatre ans, il commettrait un paricide. En se réfugiant en province, dans une petite bibliothèque — on n’a jamais aussi bien protégé que par la connaissance livresque —, l’adolescent veut échapper à la terrible prophétie de son père. Il y parvient, mais Murakami, utilisant son pouvoir discrétionnaire d’écrivain, supprime de façon violente cet homme qui, en plus de ses activités de sculpteur, était un tueur de chats en série. “Le sang coulant à flots de sa blessure, il riait à gorge déployée”. Celui qui l’élimine du circuit est l’autre personnage principal du roman. Il s’agit de Nakata Satoru, un vieil homme, simple d’esprit, qui ne s’est jamais remis d’un mystérieux accident et qui a le pouvoir de parler aux chats. Murakami parvient ainsi de façon très habile à aborder une réalité — la violence — en mêlant des personnages ordinaires comme le jeune Kafka et des êtres extraordinaires, Nakata. “La meilleure façon de parler de la réalité est de s’en éloigner le plus possible”, expliquait-il récemment dans une interview. Il va sans dire qu’en ajoutant à son récit des histoires de poissons qui tombent du ciel, des chats qui parlent et des personnages aussi troublants que Corbeau, Murakami a atteint son objectif de la plus belle des manières. Claude Leblanc |
Haruki Murakami, Kafka sur le rivage, trad. par Corinne Atlan, éd. Belfond, 23
En librairie le 5 janvier 2006 |
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PRESSE : UN SUCCÈS FRANÇAIS ADAPTÉ AU JAPON | |
Alors qu’il séjournait en France au moment des attentats du 11 septembre, un journaliste japonais Koga Yoshiaki a découvert Courrier international. La lecture de cet hebdomadaire a été comme une révélation. D’un seul coup, les grands sujets d’actualité sont devenus plus faciles à comprendre parce que les points de vue les plus variés et surtout les opinions locales étaient enfin accessibles. “J’ai compris qu’il fallait que les Japonais puissent avoir accès à un contenu semblable”, explique aujourd’hui celui qui est devenu le rédacteur en chef du bimensuel Courrier Japon. Il s’est donc inspiré du concept français pour proposer à l’éditeur Kôdansha un projet grâce auquel il voulait que l’opinion publique japonaise comprenne que “le monde ne se résume pas à la seule Amérique, qu’il existe autant de points de vue que de pays”. L’idée a séduit et après un an de travail, le premier numéro de Courrier Japon a fait son apparition, le 17 novembre, dans les kiosques japonais. C. L. Les plus curieux d’entre vous peuvent consulter Courrier Japon à la bibliothèque d’Espace Japon. |
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