Pénétrer dans un pays que l’on connaît mal au travers de la littérature est souvent un bon moyen d’en découvrir les aspects parfois les plus intéressants qu’un voyage sur place n’aurait pas permis de mettre à jour. Le roman de Matthew Kneale, Cauchemar nippon (éd. Belfond) aurait pu être de ceux-là si sa traduction française était parue quinze ans plus tôt. Publié en 1987 en Grande-Bretagne, l’ouvrage résume assez bien ce qu’un Occidental pouvait vivre en débarquant au pays du Soleil levant. Alors au faîte de sa puissance économique, le Japon et les Japonais découvraient l’importance de s’ouvrir sur le monde et de pouvoir s’exprimer dans des langues étrangères même si, comme l’affirme Daniel, personnage principal du roman et professeur d’anglais dans une école de langues minable, “ces leçons n’avaient pas de but très précis : leur seule fonction était de témoigner de l’étendue des talents traditionnellement considérés de première importance pour les candidates au mariage”. Dès lors, le héros de cette histoire rocambolesque se retrouve confronté à un pays qu’il ne comprend pas en raison notamment des problèmes de communication qui existent entre cet Occidental passionné de voyages et ses interlocuteurs locaux qui veulent notamment lui imposer le mariage avec sa petite amie japonaise. Comme bon nombre d’étrangers installés au Japon à cette époque, Daniel s’est amouraché d’une de ses élèves. Il entretient avec elle une relation intime mais secrète, car le règlement de l’école le lui interdit. Exploité par la directrice de l’école qui le paie avec un lance-pierre, notre héros ne peut pas quitter le Japon faute d’argent. Ses ennuis prennent un tour nouveau lorsque les parents de sa petite amie l’obligent à se marier car il aurait mis enceinte leur fille. Cette famille envahissante et autoritaire s’avère appartenir à la mafia, ce qui complique les affaires de l’infortuné Daniel qui ne parvient pas à s’en dépêtrer. Les seules personnes vers lesquelles il peut se tourner sont elles aussi étrangères. La première, Jake, est un routard australien qui méprise les Japonais. La seconde, Samuel Echtbein, dont “il est difficile de reconnaître en lui l’Occidental : il avait les cheveux coupés ras, à la japonaise, et des verres épais dissimulaient ses yeux”. En d’autres termes, Samuel Echtbein est complètement “tatamisé” et Daniel ne pourra jamais trouver en lui un soutien. Dans ces conditions, on ne s’étonne pas que le séjour de notre héros tourne au cauchemar. En 2004, Matthew Kneale n’aurait sans doute pas écrit ce livre car ce Japon-là n’existe plus ou bien s’il existe encore, il faut aller le chercher dans les régions les plus reculées du pays. Cela n’enlève rien à la qualité littéraire du roman, mais il convient d’avertir le lecteur qui serait tenté de croire que ce roman est un sésame pour le Japon contemporain de se rappeler qu’il a été écrit il y a plus de 15 ans et que depuis les choses ont bien changé. Il n’y a aucun risque de confusion avec le très beau texte du Mexicain Mario Bellatin, Shiki Nagaoka : un nez de fiction que les éditions Passage du Nord/Ouest implantées à Albi font paraître ces jours-ci. Toujours dans le registre comique, Mario Bellatin nous transporte dans un Japon plus ancien sur les traces d’un écrivain affublé d’un nez hors du commun, symbole de “l’invasion belliqueuse de l’Occident” selon son entourage. Au travers du portrait de cet auteur japonais imaginaire qui aurait exercé une influence décisive sur un écrivain comme Tanizaki ou un cinéaste comme Ozu, Bellatin nous donne à réfléchir sur notre propre identité et sur la façon dont une “infirmité” peut modifier le regard que nous portons sur les autres. S’appuyant sur le conte d’Akutagawa Ryûnosuke, Le Nez (1916), il construit la vie d’un être extraordinaire et nous dépeint un Japon comme vous ne le verrez jamais. Claude Leblanc |
Shiki Nagaoka : un nez de fiction de Mario Bellatin
Cauchemar nippon |
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