Depuis quelques années, les rapports entre la Chine et le Japon se détériorent. En attendant de trouver une solution idoine, dans les deux pays, on s’observe et on se critique de plus en plus souvent.
Entre la Chine et le Japon, les rapports n’ont jamais été simples. D’un côté, lorsqu’il dominait l’Asie, l’empire du Milieu cherchait absolument à faire du Japon un Etat tributaire comme tous les autres. De l’autre, quand l’empire du Soleil levant s’est modernisé à la fin du XIXème siècle, l’une de ses premières préoccupations a été de donner une leçon à la Chine. La guerre de 1894, qui s’est soldée par le traité de Shimonoseki en vertu duquel elle dut renoncer à Taiwan et reconnaître le protectorat de fait du Japon sur la Corée, reste encore aujourd’hui un souvenir amer pour de nombreux Chinois au même titre que l’invasion du territoire national par l’armée impériale japonaise pendant la Seconde guerre mondiale.
A la fin de ce conflit, les deux Etats ont vécu chacun de leur côté. La confrontation idéologique entre les Etats-Unis et l’Union soviétique les avait certes placés dans des camps opposés mais, en dépit de quelques tensions épisodiques liées à la situation internationale, Pékin et Tokyo étaient davantage occupés par leurs problèmes internes. Si la normalisation des relations entre la Chine et l’Amérique de Richard Nixon, en 1972, permet aussi aux Japonais et aux Chinois d’entreprendre la même démarche sur le plan diplomatique, il faut attendre l’effondrement du système soviétique pour que la Chine et le Japon puissent se comporter “”sans retenue”” l’un vis-à-vis de l’autre. En d’autres termes, la fin de la guerre froide a donné une nouvelle vie à la complexité des rapports entre les deux Etats.
Lancée dans une course au développement économique et désireuse de retrouver sa place historique en Asie, la Chine sait très bien qu’elle ne peut pas atteindre ses objectifs économiques sans l’aide du Japon et des ses entreprises. D’un autre côté, elle est consciente du fait que la puissance technologique et financière de son voisin japonais peut le pousser à étendre son influence en Asie. Les Japonais, pour leur part, savent que le marché chinois leur est aujourd’hui indispensable pour permettre à leurs entreprises de produire et d’écouler une grande partie de leurs marchandises. Dans le même temps, ils comprennent que Pékin entend asseoir sa puissance sur le continent asiatique, ce qui pourrait à terme être une menace pour le pays.
Il n’est pas étonnant de voir des ouvrages à l’instar de Taiyô no mokushiroku de Kawaguchi Kaiji imaginer des situations extrêmes comme une occupation de l’Archipel par des troupes chinoises. Actuellement, Tokyo et Pékin s’observent et ressemblent à deux chiens de faïence prêts à bondir l’un sur l’autre. La montée du nationalisme dans les deux pays en est une des illustration très claire. “”Depuis que le Parti communiste chinois n’est plus communiste, il se doit d’être chinois””, explique Thomas Christensen dans les colonnes du mensuel américain Foreign Affairs. Le Japon n’est pas la seule cible, mais le rapprochement entre Pékin et Washington, après 2001, au nom de la lutte contre le terrorisme a contribué à faire de Tokyo l’ennemi principal des autorités chinoises. Le gouvernement a donc fait de l’enseignement patriotique (aiguo jiaoyu) l’une de ses priorités. Dans les manuels scolaires et à chaque fois que l’occasion se présente, on rappelle l’humiliation vécue dans le passé sous l’impulsion des “”démons occidentaux”” (yang guizi) et des “”démons”” (guizi) tout court – c’est-à-dire les Japonais . “”Il ne fait pas de doute que, face au développement de l’économie de marché et à l’ébranlement de l’idéologie socialiste, le Parti communiste chinois a pour unique chance de survie un patriotisme exacerbé””, estime le Yomiuri Shimbun.
Le Japon n’est pas en reste. De nombreux observateurs s’inquiètent d’une dérive similaire dans l’Archipel, même si celle-ci ne résulte pas d’une volonté politique affirmée. On perçoit une moindre résistance face au discours nationaliste qui s’est affermi et structuré, au cours de la dernière décennie, autour de notions moins vagues que, par exemple, le “”respect à l’égard de l’empereur””. Il s’adresse avant tout à la jeunesse. Les jeunes sont de plus en plus nombreux à fréquenter le sanctuaire Yasukuni où sont honorés, entres autres, d’anciens criminels de guerre. Selon un sondage réalisé par l’Asahi Shimbun en avril 2004, 63 % des 20-30 ans étaient favorables à une révision de la Constitution pacifiste issue de la seconde guerre mondiale tandis que les plus âgés exprimaient majoritairement leur opposition. Ce sont aussi ces mêmes jeunes qui emplissent les stades où ils n’hésitent plus à brandir le drapeau national et à reprendre en chœur l’hymne souvent décrié par le passé.
Dès lors, on conçoit parfaitement que de nombreux Japonais aient été choqués par les dérapages des supporters chinois lors de la finale de la Coupe d’Asie des nations à Pékin le 7 août dernier. Les sifflets couvrant l’hymne nippon ou les drapeaux japonais brûlés à l’issue du match ont été perçus comme des provocations et ont contribué à renforcer l’hostilité des Japonais à l’égard de la Chine.
Claude Leblanc
Extrait de Taiyô no Mokushiroku (L’Apocalypse du soleil) de Kawaguchi Kaiji, éd. Shôgakkan, 2003
– M. Ryû !
– Il ne sont pas là en mission d’inspection !!
– Ils viennent nous occuper !