“Maman, ne m’oublie pas”, rêve un petit enfant. “Sachez vous arrêter”, conseille-t-on à un homme qui visiblement n’a pas réussi à dompter le joueur qui sommeillait en lui. C’est au travers d’une campagne d’affichage sans précédent que la Fédération japonaise des syndicats des industries de loisirs avait voulu alerter, il y a quelques années, les Japonais devant leur engouement à l’égard du pachinko pour lequel chaque individu dépense en moyenne 86 000 yens [671 euros] par an. De là, à dire que les Japonais sont accros, il y a un pas que de nombreux observateurs n’hésitent plus à franchir.
Qui aurait dit que le jeu de Corinthe (Corinthian Game), importé des Etats-Unis au début des années 1920 connaîtrait un tel succès et un tel enthousiasme au pays du Soleil levant ? Simple planche de bois inclinée avec des trous sur laquelle les enfants laissaient rouler une petite boule de bois ou de fer, le jeu de Corinthe a très vite suscité l’intérêt des Japonais. Transformé dans sa version actuelle, ce que les Japonais vont désormais appeler pachinko en raison du bruit fait par la boule qui roule (“pachi pachi”) se développe rapidement dans tout l’Archipel. Dès 1930, la première licence d’exploitation d’une salle de pachinko est délivrée à Nagoya, qui deviendra le centre de production des billes de fer. Après la guerre qui avait marqué un coup d’arrêt à son expansion, le pachinko connaît une nouvelle jeunesse. L’introduction de diverses innovations qui rendent le jeu encore plus attractif va conquérir des millions de Japonais. Aujourd’hui, on compte plus de 15 000 pachinko halls dans tout l’Archipel contre moins de 2 000 salles de cinéma, ce qui en dit long sur le poids de ce jeu dans la vie quotidienne des Japonais.
L’introduction du système de cartes prépayées de 1000, 5000 et 10 000 yens dans les années 1990 a permis aux patrons des salles de multiplier leurs revenus de même que la mise en place de machines de plus en plus sophistiquées. Quand on sait qu’une carte de 5000 yens ne dure pas plus d’une demi-heure, on imagine vite les sommes que peuvent perdre les joueurs qui restent collés devant leur console pendant plus d’une demi-journée. Avec quelque 50 millions de joueurs par an, le pachinko est donc une gigantesque machine à faire de l’argent, mais aussi un formidable moyen d’évasion fiscale. Des milliards de yens ont ainsi pendant des années échappé aux taxes, permettant à la fois d’alimenter les caisses de la mafia nippone qui rackette les propriétaires de salles et de financer la Corée du Nord – les deux tiers des propriétaires de halls sont d’origine nord-coréenne.
Au-delà de cette influence inattendue sur la politique étrangère nippone, le pachinko illustre l’esprit du jeu (asobi gokoro) qui anime les Japonais. Ceux-ci sont toujours prêts à jouer et à dépenser à l’image des sommes astronomiques qu’ils consacrent régulièrement dans les courses de bateaux, de vélo (keirin) ou encore de chevaux.
“Mettons sur pied un établissement chargé d’améliorer la race chevaline”. C’est en ces termes que l’empereur s’adressa à ses ministres le 7 avril 1904. Inquiet de la prestation des chevaux japonais sur les champs de bataille – la guerre russo-japonaise venait de débuter – l’homme le plus important du pays encouragea la création en septembre d’une commission d’étude pour l’amélioration de la race chevaline dont l’une des premières remarques fut de dire que “l’élevage de chevaux pour la guerre nécessitait la création de courses de chevaux (keiba)”. L’année suivante, le gouvernement autorisait la vente de billets pour les courses de chevaux car il était persuadé que “sans le jeu, on ne parviendrait pas à construire une race chevaline forte car le peuple ne s’y intéresserait pas”.
En 1923, l’entrée en vigueur de la loi sur les courses de chevaux valida officiellement une situation peu claire.
Il faut cependant attendre la fin de la Seconde guerre mondiale pour voir décoller cette activité avec la création, en 1954, de l’Association japonaise pour les courses de chevaux (JRA) qui va en gérér le développement. Son objectif est d’encourager le public à aller aux courses de chevaux et parier en lançant dans les années 1970 de vastes campagnes de publicité qui mettent en scène les vedettes de l’époque. Peu à peu, l’âge moyen des parieurs baisse et il devient très tendance de se rendre sur les hippodromes. Les chevaux prennent ainsi l’ascendant sur d’autres sports ouverts aux paris comme les courses de vélo, les courses de bateaux ou encore de voitures. Malgré une baisse sensible enregistrée au cours des dernières années, les courses de chevaux mobilisent 10,6 millions de personnes en 2000 loin devant le keirin (2 millions) et les courses de bateaux (1,2 million).
Claude Leblanc