Lors du récent sommet du G8 à Evian, le pays le plus puissant n’était pas les Etats-Unis, mais le Japon. Du moins si la puissance devait se mesurer au nombre de journalistes présents sur place. Avec 270 reporters présents pour couvrir l’événement, le Japon dépassait très largement les Etats-Unis qui ne disposaient que de 160 représentants de la presse sur le territoire français. Si la sous-représentation américaine illustrait le peu d’importance que Washington accorde à ce genre de rencontre au Sommet, de surcroît organisée par la France, le nombre impressionnant de journalistes nippons illustre en revanche le très grand intérêt que le Japon lui accorde. Absent du Conseil de sécurité de l’ONU, le pays du Soleil levant ne dispose que de peu d’espaces pour exprimer sa vision des rapports internationaux. Le sommet annuel des pays les plus industrialisés de la planète constitue donc un rendez-vous essentiel pour les autorités japonaises. Devenu une espèce de rituel pour la diplomatie nippone, le G8 est donc suivi de très près par les médias de l’Archipel. Il est vrai que le poids économique du Japon dans les années 1980 lui permettait d’en profiter pour imposer certaines de ses idées. En 1988, à l’occasion du sommet de Toronto, le Premier ministre de l’époque, Takeshita Noboru, avait rendu public le désir de faire de son pays le premier fournisseur mondial d’aide publique au développement. L’année suivante, à Paris, les diplomates japonais étaient parvenus à limiter la colère des Occidentaux vis-à-vis du gouvernement chinois quelques semaines après la répression sanglante des manifestations de la place Tian An Men. Mais depuis, l’économie rayonnante de l’Archipel a perdu de sa superbe et le Japon a moins d’arguments pour peser sur les grandes orientations de la politique internationale. Par ailleurs, son alignement sur les Etats-Unis nuit également à sa crédibilité. Lors de la récente intervention anglo-américaine en Irak, le gouvernement japonais a choisi de soutenir Washington tout en cherchant à jouer les bons offices entre les Etats-Unis et la “vieille” Europe (France, Allemagne) à l’issue du conflit. Non seulement Mme Kawaguchi, ministre des Affaires étrangères, a fait une tournée européenne pour tenter de réduire les divergences entre les deux côtés de l’Atlantique mais le Premier ministre en personne, Koizumi Junichiro, a pris son bâton de pèlerin. Mais le résultat de cette débauche d’énergie n’a servi à rien. Lors de la visite à Paris du Premier ministre, la conférence de presse de celui-ci n’a attiré en tout et pour tout que trois journalistes dont un Japonais… En dépit de ce qu’on peut appeler des “revers”, les autorités japonaises entendent mettre de plus en plus l’accent sur la politique étrangère afin, sans doute, de détourner l’attention de l’opinion publique de plus en plus inquiète de la dégradation économique. M. Koizumi est particulièrement actif sur ce plan. En témoigne son voyage historique en Corée du Nord en septembre dernier pour tenter de relancer le dialogue entre les deux pays et de favoriser la stabilité dans la péninsule coréenne. Le sommet avec Kim Jong-il a certes permis la libération de cinq Japonais enlevés par les Nord-Coréens, mais les autres objectifs visés par le chef du gouvernement sont loin d’avoir été atteints. Pyongyang s’est lancé dans un chantage à l’arme nucléaire pour amener les Occidentaux, Etats-Unis au premier chef, à revoir leur politique d’aide à son égard et Tokyo s’est retrouvé contraint à durcir ses positions vis-à-vis de la Corée du Nord. Le gouvernement japonais a ainsi renforcé les mesures de contrôle sur les activités des maisons de commerce nord-coréennes afin d’éviter qu’elles n’exportent des technologies susceptibles de servir le programme d’armement de Pyongyang. Dernier épisode du regain de tension avec la Corée du Nord, l’affaire du Mangyongbong, ce ferry qui assure la liaison régulière entre Niigata au Japon et Wonsan en Corée du Nord. Le navire construit en 1992 grâce aux fonds réunis par la Chôsen Sôren, l’association des Coréens du Japon favorable au régime nord-coréen, est aujourd’hui soupçonné d’être utilisé à des fins d’espionnage et de transport illégal de matériel destiné à l’industrie militaire sans parler des sommes astronomiques qu’il transporte entre le Japon et le nord de la péninsule coréenne. Quand on sait qu’un tiers des salles de Pachinko est contrôlé par des membres de la Chôsen Sôren, il n’est pas difficile d’imaginer la quantité d’argent qui peut être envoyée en Corée du Nord et l’inquiétude que cela peut susciter à Tokyo. Le relatif échec de la politique nord-coréenne du Japon laisse finalement peu de place à l’influence japonaise sur l’évolution des affaires asiatiques. Le déclin de l’économie nationale empêche le Japon de jouer un rôle plus important dans la mesure où la Chine tend de plus en plus à s’imposer. Le fait que la devise chinoise, le renminbi, s’impose progressivement comme une monnaie d’échange en Asie au détriment du yen japonais témoigne des difficultés croissantes du Japon à jouer les premiers rôles sur la scène internationale. D’où son offensive de charme en Afrique où il multiplie les opérations de coopération. Après l’Afrique de l’Est, c’est l’Afrique subsaharienne qui intéresse Tokyo après le retrait occidental au cours des dernières années. Mais cette présence japonaise résistera-t-elle au retour en force de la France illustré par le discours du 13 juin prononcé par Dominique de Villepin, son ministre des Affaires étrangères, sur la politique africaine de Paris ? Rien n’est moins sûr. Pour assurer une présence internationale, le Japon doit retrouver sa puissance économique. Une équation que M. Koizumi semble avoir oublié. Claude Leblanc |
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