Dans cet ouvrage récent, J-Cl Jugon apporte une suite à sa précédente étude (1) et tente de cerner l’origine des phobies sociales au Japon en analysant les modalités du développement chez le nourisson au travers de la conception psychanalytique de Mélanie Klein : construction du psychisme autour du bon et mauvais objet et l’expérience du clivage. Dans une première partie, il accorde énormément d’importance à la culture dans le processus de maturation sensori-moteur et psycho-affectif du nouveau-né. Cela l’amène à décrire avec précision les traditions séculaires de maternage (bain, endormissement, portage) et à considérer la mère comme dépositaire d’un héritage culturel qu’il qualifie de «biens des ancêtres». Le vécu et les perceptions du nouveau-né et du petit enfant sont placés d’emblée sous l’influence de cet héritage culturel. J-Cl Jugon fait un parallèle entre les légendes japonaises dont la signification symbolique paraît assez proche de celles de l’Antiquité, en Grèce, Rome et jusqu’en Gaule. Les relations précoces mère-enfant sont développées avec précision de même que l’aptitude de la mère japonaise à une participation emphatique et sacrificielle d’où la «dette de reconnaissance» très forte dans le sur-moi de l’enfant. Dans une deuxième partie, l’auteur va suivre l’évolution de l’imago de la mère au cours du temps et en souligner les caractéristiques. Il relève les lignes de forces inconscientes entre l’expérience embryonnaire et le moment où la mère devient un «objet» total dans le psychisme de l’enfant. Cette prégnance de la mère au Japon donne un investissement libidinal (pulsion de vie, sens de l’existence) du corps qui présente une nette tendance à l’introversion, tandis que la pensée, est, au contraire très extravertie avec des critères bien définis. Contrairement à d’autres cultures, la prise en compte d’une dette à l’égard du père au Japon est, semble-t-il, beaucoup moins marquée. Le parallèle entre les thèmes mystiques et la psychologie en «devenir» du nouveau né présente un éclairage particulièrement précis du «patrimoine symbolique» du Japon. Livre très riche non seulement dans la description des mythologies et de leurs évolutions mais ouvrage de référence pour la japonologie et l’ethnopsychanalyse transculturelle. J-Cl Jugon parvient ainsi à nous faire partager son questionnement d’observateur-passeur : «On ne peut connaître intimement ce qui ne nous ressemble pas. Mais on peut tenter, à partir de sa sensibilité, de comprendre la différence de l’autre pour l’accepter en soi et vivre le reflet de cette altérité dans sa propre intériorité.» M-F Van Den Dorpe |
(1) Phobies sociales au Japon, timidité et angoisse de l’autre. Petite enfance et maternité au Japon |
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