La plupart des pays qui ont connu une forte agitation estudiantine dans les années 1960 ont aussi vu naître des mouvements plus radicaux, lesquels ont rapidement dérivé vers le terrorisme. En Italie, les Brigades rouges, en Allemagne, la bande à Baader, en France, Action directe et au Japon, l’Armée rouge ont tous répandu la terreur à un moment ou à un autre dans les années 1970. L’engagement extrémiste de ces groupes a fait long feu et petit à petit ils ont perdu de leur légitimité y compris dans des pays qui les ont accueillis après leurs opérations meurtrières.Reste que leur existence a suscité de nombreuses questions auxquelles on a tenté de répondre un peu partout à l’exception du Japon où l’on a préféré fermer les yeux sur une page douloureuse de l’histoire récente. Le cinéma a été un moyen utile pour tenter de faire la lumière sur cette période trouble. La Seconda volta (1996) de Mimmo Calopresti avec Nanni Moretti posait la question des motivations de ces hommes et de ces femmes au travers de la rencontre entre une ex-terroriste et sa victime quelques années après un attentat manqué. On peut aussi trouver des exemples dans le cinéma allemand mais, en revanche, aucun dans la production japonaise trop occupée sans doute à fabriquer des monstres qu’à participer à un examen de conscience. Cette affirmation est désormais fausse depuis la sortie début décembre sur les grands écrans nippons de Hikari no ame [Pluie de lumière] de Takahashi Banmei. Présenté dans le cadre du Festival de Tokyo qui s’est tenu en novembre dernier, ce long métrage est adapté du roman éponyme publié, en 1998, par Tatematsu Wahei. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une adaptation de ce roman relatant la dérive meurtrière de certains membres de l’Armée rouge japonaise en 1972. Même si dans le film on ne désigne pas nommément les factions qui se sont affrontées lors du siège d’Asama Sanso et encore moins les personnages qui y étaient présents, il ne fait aucun doute que l’on se trouve en face de cette page noire de l’histoire du Japon d’après-guerre. Pour aborder ce sujet relativement grave, le réalisateur a choisi le mode de la fiction documentaire. Il met en scène un jeune réalisateur de spots publicitaires à qui un producteur demande de tourner le making of de l’adaptation du fameux roman. Le tournage est pour lui une sorte d’initiation à l’instar des acteurs appelés à tourner le film qui peu à peu se prennent au jeu et endossent complètement le rôle qui leur est dévolu. Le réalisateur et l’auteur du roman appartiennent tous les deux à la génération qui a vécu cette période trouble de la fin des années 1960 où des hommes et des femmes ont choisi de s’engouffrer dans la violence pour tenter de fonder une autre société. Mais qu’on ne s’y trompe pas, la violence aveugle n’a jamais contribué à améliorer le sort des peuples pour lesquels ils se sont battus. On se souviendra des attentats commis par l’Armée rouge japonaise au nom du peuple palestinien n’a pas porté les fruits escomptés. Les événements actuels en Israël et dans les territoires sous contrôle de l’Autorité palestinienne nous le rappellent cruellement. Néanmoins, le sous-titre du film Kakumei wo shitakatta [il voulait faire la révolution] est une sorte d’appel du pied au jeune public d’aujourd’hui pour qui cette période n’a guère de sens. A un moment où l’engagement politique des Japonais se traduit essentiellement par l’achat du recueil de photographies du Premier ministre, Hikari no ame vient rappeler que certains sont morts pour des idées et qu’il faut parfois lutter pour obtenir quelque chose. Il ne s’agit pas de porter aux nues les dérives meurtrières des membres de l’Armée rouge mais de montrer que l’on ne peut pas vivre dans une société malade sans s’investir. Ce film est une façon de dire aux forces vives de la nation japonaise qu’il est temps de se remuer pour que le pays évolue. Claude Leblanc |
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