Onsen : savoir se mettre dans le bain
Non à la torture des écrevisses !” C’est le cri du cœur qui vient spontanément aux lèvres de tout corps plongé pour la première fois dans un liquide “trop” chaud et qui reçoit une poussée, s’exerçant précipitamment vers la sortie, proportionnelle à la température de l’eau du bain. Si Archimède avait tenté le onsen plutôt que de rester dans sa baignoire, nul doute que son fameux principe aurait connu quelques modifications stylistiques. Pourtant, peut-on faire un séjour au Japon sans faire l’expérience de ces sources thermales, qui constituent la principale occupation touristique des habitants de l’Archipel ? [voir OVNI n°545 du 1er juin 2004] Sans doute, mais ce serait franchement dommage de rater cette “immersion” culturelle qui permet de découvrir le pays sous un autre jour. Certes, il nous faut pour cela mettre de côté quelques a priori culturels profondément imprégnés. Des siècles de culture chrétienne ont faussé notre rapport au corps et à la nudité de “l’autre”. Rien de pareil au Japon où jusqu’à l’ouverture de l’Archipel à l’Occident à la fin du XIXème siècle, se baigner nu, en groupe et entre membres des deux sexes était une pratique quotidienne auquel nul autochtone ne trouvait rien à redire. Les premiers visiteurs occidentaux, eux par contre, ont vite catalogués les Japonais de l’ère Edo comme des dépravés sans morale ni pudeur, poussant les autorités de l’époque à interdire strictement la mixité des bains afin de donner des gages de “modernité” au Commodore Perry et à ses sbires.
Contrée volcanique, le Japon est malencontreusement prône aux séismes, mais il y a gagné des sources thermales chaudes à profusion, pour le plus grand bonheur des amateurs de relaxation. Chaque région possède ses onsen renommés, certains en usage depuis plus de mille ans, autour desquels se sont greffés au fil des âges auberges et hôtels conçus pour accueillir les groupes, familles et couples, légitimes ou non.
A peine arrivé par une belle fin d’après-midi, vous êtes accueilli avec grâce et force sourires par la maîtresse de l’auberge. Il est de bon ton de se débarrasser d’emblée de ses vêtements urbains pour enfiler un yukata, le kimono de coton décontracté que l’on ne quittera plus jusqu’au départ de l’auberge, le lendemain midi. Avant le dîner, une première escale vers le bain s’impose. Les aficionados y retourneront après le repas, et le lendemain matin au réveil. Toutes les auberges disposent d’au moins deux grands bains, un pour les hommes, l’autre pour les femmes. Ils sont souvent interchangeables en fonction du moment de la journée, afin que les deux sexes puissent jouir à tour de rôle de la vue ou des équipements propres à chaque bassin. De plus en plus de ces auberges proposent également des bains “privatifs”, que l’on peut réserver pour une heure et utiliser en famille ou en couple, sans avoir à se soucier du regard d’autrui. Avant de pénétrer dans le bain, il est indispensable de se laver. Une fois lavé et débarrassé de toute trace de savon et autre détergent corporel, voici enfin venu le moment de vérité. Nu comme au premier jour, une minuscule serviette éponge vous servant éventuellement d’ultime bouclier pour dissimuler votre pudeur aux regards des autres baigneurs, votre gros orteil est volontaire désigné pour tâter la température de l’eau. 42, 43, 45 degrés ? Rares sont les “puceaux des onsens” qui parviennent d’emblée à se glisser dans le bain, nombreux sont ceux qui promettent de militer en faveur de la sauvegarde des écrevisses. Mais puisque d’autres y mijotent déjà, cela doit donc être humainement possible. Une bonne dose de volonté, voilà la clé. Une fois accoutumé à la chaleur de l’eau, l’on se surprend à apprécier le bonheur simple de la relaxation, doublé la plupart du temps par celui de la communication avec les autres adeptes. La fraternité de la nudité n’est pas un vain mot.
Les auberges bien situées proposent toutes un rotenburo (bain à ciel ouvert), qui permet de se confronter aux éléments. Qui n’a pas expérimenté une trempette hivernale, nu dans une source chaude, alors que les flocons de neige fouettent votre visage et le rafraîchissent tandis que des milliers d’autres cristaux subissent le sort cruel de fondre instantanément au contact de l’eau chaude enveloppant le reste de votre corps comme une matrice protectrice, ne peut apprécier tout le charme des onsen ? Quel sentiment de sécurité et de plénitude de se sentir ainsi préservé des éléments par la source salvatrice ! Les rotenburo sous les cerisiers au printemps, ou les érables en automne, font également partie des petits plaisirs simples et intenses de l’Archipel.
Etienne Barral
Illustration : Pierre Ferragut