Si vous demandez à un Japonais de vous parler de manga, il est fort probable qu’à un moment ou un autre de la conversation il évoquera Tezuka Osamu. Celui qu’on présente, à tort diront certains, comme le père du manga moderne a en effet marqué une époque et a accompagné des millions de Japonais avec ses histoires. Le destin du dessinateur est intimement lié à celui du Japon d’après-guerre dans la mesure où dans toute son œuvre il a adressé un message d’humanisme et de pacifisme en parfait accord avec celui que le pays du Soleil-levant voulait diffuser à travers le monde après avoir incarné le mal pendant près de deux décennies.
Sorti anéanti de la guerre qui s’est achevée par l’atomisation de Hiroshima et Nagasaki, le Japon du début des années 1950 entre dans une phase de développement rapide qui le conduira vingt ans plus tard à faire partie du club très fermé des grandes puissances économiques de la planète. A l’époque, les tensions entre l’Occident et le bloc communiste sont vives. Elles se traduisent en juin 1950 par la guerre de Corée. Même si ce conflit profite à l’industrie nationale qui répond aux commandes américaines, les Japonais veulent éviter d’être entraînés dans une nouvelle conflagration mondiale. D’autant que la nouvelle Constitution dont ils se sont dotés en 1947 met l’accent sur le pacifisme. Lorsque ce texte entre en vigueur, Tezuka Osama n’a pas encore vingt ans. Il a commencé à publier ses histoires en janvier 1946 dans un journal pour écolier affilié au quotidien Mainichi Shimbun, mais ce n’est qu’en avril 1947 qu’il réalise son premier gros travail en partenariat avec le scénariste Sakai Shichima qu’il a rencontré au Club des artistes du manga. Leur association donne naissance à Shin Takarajima (La Nouvelle île au trésor), une œuvre atypique pour l’époque dans laquelle on retrouve le trait caractéristique de Tezuka, mais qui ne véhicule pas encore les valeurs de l’artiste. Après tout, il n’est là que pour exécuter les dessins. Shin Takarajima est néanmoins considérée comme l’œuvre fondatrice du manga moderne.
C’est à partir de 1951-1952 que l’auteur commence à publier sa première grande série qui incarne si bien les valeurs humanistes et pacifistes du Japon d’après-guerre. Il s’agit de Tetsuwan Atomu (Astro, le robot) qui durera jusqu’en 1968 et s’achèvera sur un épisode dramatique mais symptomatique de l’état d’esprit qui animait l’auteur : le sacrifice au nom de l’intérêt général. 1951-1952 sont deux années importantes pour le Japon. En septembre 1951, c’est la signature du traité de San Francisco qui marque le retour du Japon dans le concert des nations, et en avril 1952, c’est la fin officielle de l’occupation américaine. Cela coïncide avec la parution dans le mensuel Shônen publié par l’éditeur Kôbunsha de la série Tetsuwan Atomu. Il est bien sûr improbable que la décision de publier la série soit liée au retrait des Etats-Unis et au retour de la souveraineté japonaise. Mais on ne peut pas s’empêcher de souligner cette coïncidence troublante. Tetsuwan Atomu incarne d’une certaine façon le Japon et des millions de personnes se sont identifiées à ce personnage pendant plus de quinze ans. Car Tezuka est alors en phase avec son temps. Les aventures de ce robot font souvent référence à la situation de tension qui règne alors dans le monde. Tetsuwan Atomu terminera d’ailleurs sa carrière lors d’un accident atomique sur fond de guerre froide entre les Etats-Unis et l’Union soviétique. Les Japonais, qui ont suivi les aventures du petit robot à l’époque, vous disent aujourd’hui qu’ils ont pleuré devant le sacrifice de ce personnage tout droit sorti de l’imagination de Tezuka. Beaucoup d’entre eux restent aussi marqués par une autre de ses œuvres : Hi no tori (Phénix, l’oiseau de feu). Entamé dans les années 1950, ce manga a été un peu le fil rouge de la carrière du dessinateur, évoluant en fonction des idées du moment. Mais il véhicule les mêmes valeurs fondamentales que Tetsuwan Atomu ou un titre ultérieur comme Bouddha (La Vie de Bouddha) publiée entre 1974 et 1985. Tezuka Osamu décède le 9 février 1989. Six ans plus tard, le cinéaste Kurosawa Akira, un autre monstre sacré, qui a également incarné cet humanisme si ancré dans la société japonaise de l’après-guerre, l’a rejoint. Depuis leurs disparitions, les Japonais ont eu bien des difficultés à retrouver des repères. Ils se sont raccrochés à des valeurs bien plus futiles comme la réussite matérielle incarnée par des hommes d’affaires ou des politiciens médiatiques.
Claude Leblanc
Tetsuwan Atomu (Astro le robot). Le premier grand succès de Tezuka Osamu
©Tezuka Production
EN KIOSQUE
On ne compte plus les manga publiés, à tel point qu’on finit par se perdre au milieu de cette profusion. Voilà pourquoi, il convient de saluer l’initiative des éditions H qui ont lancé Manga 10 000 images, la première revue d’étude de la bande dessinée nippone digne de ce nom. Après un premier numéro sorti en 2008, Hervé Brient et ses collaborateurs ont choisi de s’intéresser à Tezuka Osamu. On trouve dans cette deuxième livraison exceptionnelle plusieurs articles qui permettent de mieux saisir l’importance de Tezuka dans le monde du manga. L’analyse de Xavier Hébert intitulée Le “style Tezuka : un modèle de narration visuelle est particulièrement profonde et enthousiasmante. Gageons que les prochains numéros seront aussi bons et qu’ils raviront les lecteurs exigeants que nous sommes.
18€ – www.editions-h.fr