Depuis l’éclatement de la bulle financière à la fin des années 1980, le Japon va mal. Il ne se porte pas bien d’un point de vue économique malgré quelques signes encourageants apparus ici et là au cours de la dernière décennie. Et surtout, il va mal sur le plan politique. Après des expériences calamiteuses de coalitions gouvernementales entre petits partis créés par des dissidents du Parti libéral démocrate (PLD) au pouvoir depuis 1955 et le Parti socialiste au début des années 1990, le PLD a repris la main en s’associant le temps de le mettre à genou avec son ennemi socialiste, puis avec le Kômeitô, bras politique de la Sôka Gakkai. Le retour aux affaires des libéraux-démocrates a été chaotique dans la mesure où les électeurs lui redonnaient le pouvoir parce qu’ils n’avaient pas d’autres choix. Le Parti socialiste avait sombré après son alliance contre-nature avec le PLD. Les petites formations dissidentes du PLD étaient bien trop faibles et divisées pour imaginer pouvoir de nouveau être aux commandes.
Seul le Parti démocrate, lui aussi fondé par des dissidents du PLD, apparaissait en mesure de jouer un rôle s’il parvenait à faire taire les querelles intestines dont il était familier. Mais jusqu’à l’année dernière, les chances du Parti démocrate sont toujours apparues très faibles face à un Parti libéral-démocrate capable de trouver les ressources pour rebondir au dernier moment. En 2001, ce fut Koizumi Junichirô qui joua le rôle de l’homme providentiel pour le PLD. Personnage atypique, amateur de rock’n roll à la mèche rebelle, M. Koizumi a bousculé le monde politique japonais. Son style a séduit une opinion publique en quête de changement. Volontariste et volontiers provocateur, le Premier ministre a initié de nombreuses réformes et appliqué une politique économique néo-libérale visant à sortir le pays de sa torpeur. Peu à peu, les Japonais se sont lassés de ses déclarations à l’emporte-pièce et d’une politique extérieure trop calquée sur celle des Etats-Unis. Les tensions avec la Chine liées notamment aux vistes répétées du chef de gouvernement au sanctuaire Yasukuni où est honorée la mémoire des soldats japonais morts pour la patrie (y compris ceux qui ont été désignés comme criminels de guerre) ont finalement eu raison de M. Koizumi.
Déjà prêt à partir ? Le Premier ministre Fukuda Yasuo lors d’une réunion au siège du Parti libéral-démocrate. En arrière plan, on aperçoit son rival Aso Tarô
Son retrait des affaires s’est accompagné d’une nouvelle période d’instabilité. Son successeur, Abe Shinzô, qui fut un proche collaborateur s’était donné pour mission de poursuivre la même politique économique et d’améliorer les relations avec le voisin chinois. Même s’il a été élu confortablement à la tête du gouvernement par 339 voix contre 475 le 26 septembre 2006, l’homme issu d’une famille de politiciens n’a pas réussi à convaincre l’opinion publique des vertus de sa politique visant à “créer une belle nation” (Utsukushii kuni he). Trop éloigné des réalités du pays et entouré d’une équipe gouvernementale incompétente, l’expérience Abe a duré à peine une année, ouvrant ainsi une nouvelle période d’instabilité politique. La défaite cuisante du PLD aux élections sénatoriales de juillet 2007 a accéléré le départ d’un homme pourtant ambitieux. Il a cédé sa place le 12 septembre 2007 à Fukuda Yasuo lui aussi issu d’une famille de politiciens. Son père Fukuda Takeo fut Premier ministre de 1976 à 1978. La nomination de M. Fukuda devait, disait-on alors, remettre les pendules à l’heure. A la différence de son prédécesseur, âgé de 51 ans au moment de son accession au pouvoir, le nouveau chef du gouvernement avait de la bouteille — 71 ans — et se présentait comme un apôtre du consensus dans un pays où ce principe a toujours été considéré comme une vertu. En plaçant M. Fukuda à la tête du gouvernement, le PLD voulait mettre un terme définitif à l’ère Koizumi-Abe et ramener la confiance au sein de la population confrontée à de nombreuses difficultés et à l’accroissement des inégalités sociales. Pour conserver le pouvoir, le Parti libéral-démocrate a cru qu’il suffirait de créer une pseudo-alternance. Il s’est, semble-t-il, trompé puisque le Premier ministre Fukuda n’a pas davantage réussi à convaincre d’autant que l’opposition, incarnée par le Parti démocrate se sent pousser des ailes depuis qu’elle a détrôné le PLD comme première formation au Sénat après le scrutin de juillet 2007. Cela s’est d’ailleurs traduit, le 11 juin 2008, par le vote au Sénat d’une motion de censure, une première depuis 1947, contre le Premier ministre. Même si celle-ci n’a eu aucun effet, elle a montré la fragilité de M. Fukuda à la tête du pays. Sa décision de remanier son gouvernement, le 1er août, en remplaçant 13 de ses 17 ministres, donne une indication assez précise de la pression dont il fait l’objet. Le remaniement, qui a vu l’arrivée de certains poids lourds du PLD, a aussi comme objectif de faciliter la mise en place de réformes et de redorer le blason du Parti à un an des élections prévues en septembre 2009. Malgré ses bonnes intentions, M. Fukuda risque d’avoir du mal à parvenir à ses fins dans la mesure où le nouveau secrétaire général du PLD, Aso Tarô, ambitieux et influent premier ministrable, ne partage pas du tout la vision de l’actuel numéro un japonais. Alors que l’économie japonaise est en récession — le produit intérieur brut a enregistré une baisse de 2,4 % sur un an au deuxième trimestre 2008 — avec une consommation en net recul (- 2,1 % sur un an) et un endettement gigantesque, M. Fukuda s’est engagé à revenir à un équilibre budgétaire d’ici 2011. M. Aso, quant à lui, défend une politique d’investis-sements publics plus importants. Voilà qui place le Premier ministre dans une position pour le moins inconfortable à quelques jours de la rentrée parlementaire qui s’annonce houleuse. Les Japonais lui reprochent d’être tout comme son prédécesseur éloigné des réalités malgré ses promesses de créer une agence de protection des consommateurs et d’améliorer la protection sociale. Tout porte à croire que l’automne de M. Fukuda sera agité et qu’un déménagement n’est pas à exclure dans les prochains mois. Il va devoir affronter les “vagues sauvages” (aranami) de la politique et chacun sait au Japon qu’elles peuvent être fatales.
Claude Leblanc