Dans votre dernier livre, vous avez écrit que 2006 avait marqué l’entrée du cinéma dans une période bulle. Pourriez-vous préciser votre pensée ?
Saitô Morihiko : Il existait des signes précurseurs depuis plusieurs années. On a commencé à s’en apercevoir lorsque des œuvres racontant des histoires d’amour ont enregistré des recettes qui ont dépassé les prévisions. Jusque-là, l’acte de regarder un film dans une salle de cinéma était un acte en dehors du quotidien. Ainsi le prix d’un billet était considéré comme le prix en échange de quelque chose de propre au cinéma. Or les histoires d’amour entre un homme et une femme n’appartiennent pas à cette catégorie. Avec l’accroissement du nombre de complexes cinématographiques où l’on ne diffuse que les grosses productions, les films de genre que l’on pouvait produire avec un budget relativement serré ont commencé à être en surnombre. Les conditions de la bulle étaient donc réunies. Et c’est en 2006 qu’on en a pris conscience.
Quelles en sont les causes ?
S. M. : En arrière plan, il y a toutes les déréglementations qui ont permis de créer de nouvelles opportunités commerciales pour les entreprises. Par ailleurs, l’idée selon laquelle “le XXIème siècle sera celui de l’image” a favorisé une fièvre d’investissements dans le cinéma. Les chaînes de télévision ou encore les maisons d’édition se sont engouffrées dans la brèche, créant ainsi ce sentiment de malaise dans le secteur. Devant la baisse de leurs rentrées publicitaires liée à l’avènement des nouveaux médias, les chaînes de télévision ont vu dans le cinéma un bon moyen d’augmenter leurs revenus. De la même façon, les éditeurs japonais confrontés à un plafonnement des ventes de leurs publications ont tiré la même conclusion.
Les années 1950 ont été l’âge d’or du cinéma japonais. Pourriez-vous faire une comparaison avec la période actuelle et quelle conclusion en tiriez-vous ?
S. M. : C’est une question difficile. je suis né en 1961 et ma connaissance des années 1950 est sommaire. Ce que je peux dire toutefois, c’est que juste après la guerre, le cinéma était le principal loisir des Japonais. La situation a évolué à partir de 1953 lorsque les premières chaînes de télévision, NHK en tête, ont fait leur apparition. Le cinéma a commencé à perdre son statut. Si l’on compare à la période actuelle, c’est donc le rapport que les gens entretenaient à l’égard du cinéma qui a le plus changé. En ce temps-là, seules les familles aisées disposaient d’un téléviseur. Il n’y avait ni Internet, ni téléphones portables, ni consoles de jeux, ni lecteurs de DVD. Le cinéma était le seul loisir important. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas et nos loisirs évoluent au fil de la journée. Les industriels n’ont d’autre choix que de s’adapter à cette évolution.
Comment voyez-vous l’avenir du cinéma japonais ?
S. M. : Ce qui compte aujourd’hui c’est moins l’écriture d’un film que sa capacité à générer des profits. Les producteurs ne s’intéressent qu’au nombre de spectateurs qui viendront voir les films. Ils ont oublié que la première mission du cinéma est de procurer du plaisir au public. Celui-ci s’intéresse d’ailleurs très peu au nom des entreprises qui ont pu financer le film et il ne paie pas son entrée dans le but de réaliser les objectifs de ces commanditaires. Voilà pourquoi les petits créateurs, ceux qui travaillent avec des moyens limités, ont commencé à contre-attaquer. Depuis le début de 2008, on a ainsi vu plusieurs films réalisés avec de petits moyens mais avec ferveur obtenir les faveurs des spectateurs. On peut espérer que cela leur ouvrira de nouvelles perspectives. Je crois que si l’on parvient à maintenir un équilibre entre productions “à but commercial” et productions “d’auteurs” l’avenir du cinéma japonais est loin d’être compromis.
Propos recueillis par Claude Leblanc
Saitô Morihiko est un observateur averti du cinéma japonais. Il a notamment publié Nihon eiga, hôkai [La Chute du cinéma japonais, éd. Daiyamondosha, 2007].