Tendance : PEUT-ON PARLER D’UNE CRISE DU MANGA ? |
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En dépit du développement rapide de cafés manga (manga kissa) ouverts 24h sur 24 afin de satisfaire un public d’amateurs de dessins et de bulles, le manga n’est pas au meilleur de sa forme, notamment les magazines de prépublication dont la diffusion ne cesse de dégringoler depuis une dizaine d’années. Au cours de la décennie écoulée, les ventes ont presque chuté de moitié pour la plupart d’entre eux. Certains ont expliqué la tendance en affirmant que les séries phares des années 1980 étaient arrivées à leur conclusion et qu’il n’était pas anormal de subir une période de flottement. D’autres ont estimé que l’avènement des consoles de jeux vidéo avait contribué à détourner les lecteurs de leurs magazines. On peut aussi ajouter que le vieillissement de la population ou encore la crise économique des années 1990 ont pesé sur la diminution des ventes de magazines manga. Cela signifie-t-il pour autant que l’on puisse parler de crise du manga au Japon ? Si les ventes des magazines sont en panne, celles des ouvrages ne se portent pas si mal. Des séries vendues sous forme de livre atteignent d’ailleurs des chiffres de vente extraordinaires. La plupart du temps, cela s’explique par l’adaptation des séries en dessin animé. Plutôt que de les découvrir dans les magazines, les Japonais dévorent les manga sur leur petit écran avant de les acheter en livre. Les chaînes de télévision y consacrent pas mal de moyens parce que les histoires racontées dans les manga sont originales. Elles sont si bien que les scénaristes du cinéma s’en inspirent ou les adaptent. Une preuve que le manga fait partie de la culture japonaise au sens le plus large et qu’il y restera longtemps encore. Par ailleurs, la popularité du manga à l’étranger est un signe très encourageant pour les éditeurs et les créateurs de séries qui disposent ainsi de nouveaux débouchés. C’est aussi un bon moyen pour découvrir de nouveaux talents susceptibles de relancer l’intérêt du public japonais comme cela avait été le cas dans le secteur musicale lorsque la pop asiatique (asian pop) avait fait son apparition à la fin des années 1990. Le manga a encore quelques belles années devant lui. Claude Leblanc |
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Histoire : NAISSANCE ET RENAISSANCE
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C’est le 26 août 1982 que le premier numéro de Morning est sorti dans les kiosques japonais avec l’objectif de donner un coup de fouet à un secteur qui avait un peu tendance à ronronner. Malgré un plan de bataille préparé de longue date, le lancement fut un échec. Les 800 000 exemplaires diffusés ne se vendirent pas très bien et les tirages suivants moins importants rencontrèrent autant de difficultés à séduire le public. Il fallut attendre début 1983 pour que le vent tourne et que les lecteurs découvrent deux mangaka dont le destin va désormais être intimement lié au nouveau magazine. Il s’agit de Kawaguchi Kaiji et Hirokane Kenshi. Des millions de Japonais se sont ainsi identifiés au personnage principal de la série Kakarichô Shima Kôsaku [Shima Kôsaku, chef de service] de Hirokane Kenshi, grâce à son caractère tout à fait ordinaire. Morning s’est donc imposé à la génération des baby-boomers comme le magazine incontournable car il reflétait dans les histoires publiées leur état d’esprit et leurs préoccupations. En 1991, Morning, c’est 1,2 million d’exemplaires par semaine. Mieux comprendre, par exemple, ses collègues féminines, rien de plus facile avec la série d’Akizuki Risu OL Shinkaron [Théorie de l’évolution chez l’employée de bureau] qui a débuté en 1989 et que l’on peut toujours lire actuellement. Mais cette génération de lecteurs assidus de la presse manga a vieilli et, 25 ans après sa création, Morning cherche un second souffle. Les ventes stagnent aujourd’hui aux alentours de 500 000 exemplaire. Le lancement en août 2006 de Morning 2, un trimestriel destiné à élargir la base du lectorat de Morning, est une première réponse. Les résultats sont encourageants et devraient donner un peu de baume au cœur de l’éditeur Kôdansha. C. L. |
De Morning à Morning 2, 25 ans de réussite |
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Le 16 janvier dernier, à la sortie des gares, des jeunes filles vêtues de jaune distribuaient aux voyageurs qui sortaient d’un pas pressé le premier numéro de Gumbo, le premier magazine de manga publié gratuitement au Japon. “Je n’aurais jamais cru possible de faire une revue aussi épaisse sans rien demander en échange”, raconte un homme plutôt satisfait de découvrir les 236 pages d’histoires proposées par ce nouveau venu sur le marché déjà chargé de la bande dessinée. Son rédacteur en chef, Kai Akihiko, compte sur la publicité pour en assurer la longévité. Des annonces publicitaires sur la couverture, mais aussi et surtout la présence de marques au sein même des différents récits publiés, telles sont les deux principales recettes imaginées par les dirigeants de Gumbo dont les 100 000 premiers exemplaires ont été distribués en quelques minutes. Si cette expérience est concluante, il est probable que d’autres titres gratuits verront le jour dans les mois à venir. C. L. | |
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Notes de lecture : ETRANGES HISTOIRES |
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Il est presque inutile de dire tout le bien que l’on pense de NonNonBâ de Mizuki Shigeru qui a obtenu le grand prix lors du Festival de la bande dessinée à Angoulême. Il s’agit d’un récit extraordinaire à bien des égards. Non seulement une grande partie du récit est liée à la description de yôkai, ces apparitions étranges qui viennent hanter le monde des vivants, mais Mizuki Shigeru a choisi de situer son histoire dans les années 1930, à une époque où le Japon oscille entre la guerre et la paix. Tout au long de l’histoire de Shigeru, principal personnage, et de l’inénarrable NonNonBâ, une grand-mère qui en connaît un rayon sur les monstres et autres fantômes japonais, l’auteur rappelle à ses lecteurs que le Japon s’apprêtait à se lancer dans un conflit dont l’issue serait forcément désastreuse. Pour illustrer ce destin tragique, Mizuki a choisi d’opposer deux bandes d’enfants qui vont se battre pour déterminer celle qui prendra l’ascendant sur l’autre. Shigeru, qui se prend d’abord au jeu, finit par comprendre que les batailles ne mènent à rien. Il se proclame donc pacifiste. Il a toutes les raisons de refuser le combat. Une grande partie des personnages secondaires de l’histoire, et surtout NonNonBâ, viennent lui rappeler que la vie est certes difficile (son père est souvent au chômage, une de ses amies meurt d’une maladie infectieuse, une voisine est vendue à une maison de geishas), mais qu’elle vaut d’être vécue malgré tout. Les histoires de monstres que lui raconte NonNonBâ, mais aussi son imagination débordante dans ce domaine lui permettent d’échapper un instant à une réalité souvent impitoyable et de mieux l’accepter. Avec une approche tout aussi poétique mais un graphisme peut-être un peu moins travaillé, Igarashi Daisuke nous transporte dans l’univers de sorcières aux différentes origines et aux envoûtements tout aussi variés. C’est un pur moment de bonheur que de plonger dans ce monde étrange qui n’a rien de repoussant bien au contraire. Ce n’est pas le cas d’Emerging de Hokazono Masaya, un manga catastrophe où l’on voit Tokyo frappée par une terrible maladie contagieuse. Mené d’une main de maître, ce récit est halletant et soulève de nombreuses questions quant au rapport de l’homme à la nature. Il met en évidence les conséquences terribles qui découlent de la rupture du lien entre l’homme et la nature. C’est aussi l’approche adoptée par Tezuka Osamu qui décrit le jour où les oiseaux fatigués d’être opprimés par les hommes se révoltent et s’imposent à l’humanité qui finit par quasiment disparaître… C. L. |
NonNonBâ de Mizuki Shigeru, éd. Cornélius, 29€.
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A Tokyo : MANGA SOCIAL
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Société de plus en plus cosmopolite, le Japon éprouve néanmoins de nombreuses difficultés à gérer la présence d’étrangers sur son sol. Les journaux rapportent souvent des affaires mettant en lumière la rigidité nippone face à cette situation. Voilà pourquoi Sugimura Shin’ichi au dessin et Richard Woo au scénario ont imaginé Diaspolice, un manga des plus originaux dans lequel ils imaginent la constitution d’une administration parallèle susceptible de gérer les problèmes auxquels sont confrontés les quelque 150 000 étrangers en situation irrégulière présents dans la capitale japonaise. Parfaitement maîtrisée, cette histoire appartient à cette catégorie de manga d’intérêt public. Même si les auteurs assurent qu’il s’agit d’une fiction, on peut lire à travers les lignes et les traits des personnages la volonté de montrer aux Japonais (absents de l’histoire) l’existence d’un véritable problème dans la société. Afin d’éviter la création d’une fracture sociale, il serait temps pour la société nippone de prendre en compte tous ceux et toutes celles qui vivent en marge. C. L. Diaspolice de Sugimura Shin’ichi et Richard Woo, série en cours, 3 volumes parus, éd. Kôdansha |
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Entretien : FURUKAWA KÔHEI, RÉDACTEUR EN CHEF DE L’HEBDOMADAIRE MORNING |
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Quel le secret du succès de Morning ? F. K. : En 2007, notre magazine célèbre ses 25 ans d’existence et depuis sa création, nous avons toujours cherché à renouveler l’offre de manga. Outre l’originalité des auteurs, nous avons traqué la “nouveauté” y compris dans la façon de présenter et de planifier les histoires. Nous avons aussi ouvert la porte à des auteurs étrangers. Cela nous a valu de recevoir le soutien des lecteurs et de réussir à imposer notre marque dans le paysage du manga au Japon. Mais nous ne pensons pas pour autant que la victoire est définitive. Il y a toujours de nouveaux défis à relever. Dans le secteur du manga, je crois que le travail n’est jamais fini et qu’il faut continuellement se remettre à l’ouvrage. Parmi toutes les œuvres que vous avez publiées, pourriez-vous nous citer vos cinq séries préférées ? Depuis Comment voyez-vous l’avenir du manga au Japon ? Le manga rencontre un grand succès en Occident. Qu’en pensez-vous ? |
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