Au début des années 1990, quand il était encore de bon ton de trouver, selon le journaliste Stéphane Benamou, 50 honorables raisons de détester le Japon” (éd. Albin Michel, 1992), une dizaine de dessinateurs français avaient été invités dans l’archipel pour rencontrer leurs homologues nippons. A l’issue de leur voyage, Plantu, Cagnat, Chenez, Wolinski et autres avaient rendu compte de leurs impressions japonaises (éd. Denoël, 1993) grâce auxquelles le lecteur découvrait par petites touches le quotidien d’un Japon vu de l’intérieur et pouvait un peu mieux appréhender ce pays dont on n’avait jusqu’alors qu’une image négative. Plus de dix années se sont écoulées depuis cette initiative. Au cours de cette période, le regard porté sur le Japon a évolué. Ayant perdu son statut de menace, le pays du Soleil-levant est devenu un objet de curiosité et d’étude pour de nombreux Français sensibilisés à sa culture grâce à la bande dessinée ou encore au cinéma. Comme l’explique Raymond Depardon dans un entretien publié à la fin de l’ouvrage du photographe Jean-Christophe Béchet Tokyo Station (éd. Trans Photographic Press, 2005), “Tokyo me parâit être la ville la plus intéressante aujourd’hui. Elle correspond un peu au New York des années 80. Dans les années 80, on rêvait de New York, cette ville était un peu unique. (…) On n’avait pas le droit de déprimer à New York. Tokyo a aujourd’hui pris la place de New York…”. En regardant attentivement le travail de Jean-Christophe Béchet, on comprend à quel point la cité japonaise est fascinante. Le photographe a su rendre toute la poésie qui se dégage des ensembles urbains de l’archipel où cohabitent ordre et désordre. Dans l’ouvrage, l’éditeur a d’ailleurs bien pris soin de souligner cette idée en alternant des images symbolisant un ordre parfois artificiel et des photographies sur lesquelles le lecteur aura l’impression d’un joyeux désordre. Mais qu’importe, ce qui compte, c’est la magie du regard, c’est la finesse avec laquelle Jean-Christophe Béchet a su saisir tous ces instants. “Cette idée d’ordre et de désordre a été mon moteur”, affirme-t-il. “Voir le désordre, et l’ordonner tout en laissant entrer une part de surprise dans le cadre”, telle est la démarche réussie d’un photographe talentueux que l’éditeur, Dominique Gaessler, a aussi su mettre en valeur. Ce dernier est également à l’origine de la publication d’un autre recueil de photographies Hiroshima de Philippe Bertin. En cette année de célébration du 60ème anniversaire du bombardement atomique de la ville, on aurait pu s’attendre à un énième ouvrage sur les vestiges de ce cataclysme. Non, la démarche du photographe est tout autre et révèle que notre regard sur le Japon a considérablement évolué. Il y a 20 ans, il n’aurait pas été envisageable de parler de Hiroshima sans faire référence à son atomisation. Aujourd’hui, c’est possible et c’est tant mieux. Comme le dit avec justesse Anne-Marie Garat dans le texte qui conclut le recueil, “les photos de Philippe Bertin mettent en crise le visible de Hiroshima installé dans nos yeux par les photos d’histoire. Elles désemparent notre vue par leur choix hors sujet”. Et de ce désordre organisé, il ressort une vision colorée et poétique d’un quotidien comme on en rencontre partout au Japon. C’est aussi ce qui se dégage de l’ouvrage collectif réalisé par 17 auteurs de bandes dessinées français et japonais intitulé simplement Japon. Chacun y a rapporté sa perception du Japon sans aucune réserve, car, après tout aujourd’hui, il n’y a plus aucune raison de se retenir. Le Japon, on a tous un peu l’impression de mieux le connaître et donc de mieux le comprendre. Claude Lelanc |
Extrait de Tokyo Station de Jean-Christophe Béchet
Tokyo Station, de Jean-Christophe Béchet, éd. Trans Photographic Press, 32€ |
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