Les récentes visites du Premier ministre, Koizumi Junichirô, au sanctuaire Yasukuni à Tokyo ont déclenché chez les voisins du Japon de nombreuses protestations. Le sanctuaire shintoïste a été fondé en 1869 dans le but d’honorer les soldats fidèles à l’empereur Meiji morts un an auparavant dans les combats contre les forces shogunales. Il est par la suite devenu le symbole du militarisme nippon dans sa volonté de conquérir l’Asie. Aujourd’hui, les âmes de près de 2,5 millions soldats y sont honorées, parmi lesquels 14 personnalités désignées comme criminels de guerre, en 1948, par le tribunal international de Tokyo. C’est la présence de ces 14 criminels qui est responsable des réactions hostiles de part des Coréens et des Chinois. En dépit des demandes répétées de Pékin et de Séoul l’enjoignant de ne plus s’y rendre (même à titre privé), le chef du gouvernement japonais les a balayées d’un revers de la main, en déclarant doctement que “personne n’a à se mêler de nos affaires de cœur.” Certes il n’est pas agréable d’avoir en permanence à subir les remarques de ses chaperons lorsqu’on fréquente quelqu’un, mais quand on veut comme M. Koizumi se faire aimer des autres, il convient de faire des efforts pour ne pas blesser les susceptibilités. Ceci est d’autant plus important que le Japon souhaite de plus en plus améliorer son image dans le monde. La mise en œuvre d’une politique active dans le domaine de l’exportation de contenus culturels (films, mangas, programmes audiovisuels, etc.) en est une illustration des plus flagrantes. En effet, les pouvoirs publics ont décidé (à l’initiative de M. Koizumi) de faire de l’industrie du contenu un des fers de lance de l’économie nationale car non seulement elle assure de confortables revenus — c’est actuellement le second secteur industriel au Japon après celui de l’automobile —, mais elle permet de toucher des publics variés, en particulier les jeunes qui, une fois adultes, auront une attitude bien plus favorable à l’égard du Japon que leurs aînés. La jeunesse est donc une priorité pour les autorités japonaises. Le nouveau programme d’échanges qu’elles viennent de rendre public en constitue une nouvelle preuve. Il s’agit pour elles de doubler le nombre de jeunes visiteurs dans l’archipel d’ici 2010 pour atteindre le seuil des 80 000 personnes contre 40 000 actuellement. Baptisée d’un nom anglais Friendship Japan, cette initiative, qui entre en application dès le mois de décembre, est le pendant d’un autre plan gouvernemental Visit Japan, dont l’objectif est d’attirer 10 millions de touristes étrangers d’ici 2010. Si les arrière-pensées sont plutôt d’ordre économique dans ce dernier projet, elles sont d’une autre nature en ce qui concerne le programme Friendship Japan. En favorisant les échanges scolaires, l’accueil d’élèves étrangers dans les classes ou encore les stages d’apprentissage de la langue japonaise, Tokyo espère bien conquérir le cœur de nombreux jeunes qui, une fois adultes, conserveront du Japon une image plutôt positive. Et lorsque l’on sait que les pays riverains — Chine, Corée du Sud — seront plus chouchoutés que les autres, on comprend d’autant mieux la démarche. Le gouvernement japonais investit donc à long terme, en se dotant de moyens pour séduire le jeune public. Reste à savoir si cela sera suffisant pour calmer la colère des manifestants chinois et coréens, parmi lesquels de très nombreux jeunes, qui attendent du Premier ministre qu’il se souvienne de l’histoire. Rien n’est moins sûr même si la jeunesse à Pékin et à Séoul apprécie de plus en plus les produits culturels made in Japan. Le gouvernement japonais devra, par conséquent, réfléchir à aller un peu plus loin dans sa démarche, en donnant à ses voisins l’assurance que son désir d’ouverture est sincère. Le succès ou non du programme Friendship Japan constituera une indication importante du pouvoir de séduction de M. Koizumi en Asie. C. L. |
Manifestation à Séoul contre la visite au sanctuaire Yasukuni |