Depuis son inauguration, l’Exposition universelle d’Aichi a déjà accueilli plus de 5 millions de visiteurs. Un succès énorme qui ne va pas sans poser de gros problèmes. Reportage.
- Certains, en France, rêvaient de dégraisser le mammouth… A l’Expo universelle d’Aichi, dans un coin perdu à 45 minutes en train de Nagoya, des millions de visiteurs nippons rêvent eux de voir à quoi ça ressemble, un mammouth, même congelé. Et si le mammouth a attendu 18 000 ans dans les glaces de Sibérie pour apparaître devant son public, les visiteurs de l’Expo peuvent bien patienter pendant quelques heures pour apercevoir ses défenses longues de 3,8 mètres, le haut de son crâne et un bout de sa patte avant gauche. En effet, plusieurs centaines de mètres de queue sont nécessaires pour un tête-à-tête d’une minute avec ce mammouth congelé. Mais il en faut plus pour refroidir un visiteur japonais digne de ce nom. Bien protégé des hordes de visiteurs dans son frigo-vitrine à moins 15 degrés, le mammouth va en voir défiler des visiteurs, pendant les six mois que dure l’exposition universelle d’Aichi. Et pour qu’ils défilent encore plus vite, les organisateurs ont tout prévu : un tapis roulant installé devant la vitrine évite les stations prolongées devant la carcasse de l’animal et empêche quiconque de méditer devant le sort qui nous attend si le réchauffement de la planète se poursuit.
Le mammouth désormais le plus photographié de l’univers symbolise à lui tout seul les enjeux, les défis mais aussi les problèmes soulevés par cette première exposition universelle du XXIème siècle. C’est vrai que s’il pouvait voir et parler, le mammouth la trouverait bien changée la planète sur laquelle il vivait, il y a 18 000 ans. C’est pour faire prendre conscience au grand public des enjeux, de la nécessité d’améliorer nos relations avec la planète Terre, que cette Expo a été conçue. Sinon, qui pourra venir admirer d’ici 180 autres petits siècles, les magnifiques spécimens d’homo sapiens parfaitement conservés que nous serons dans nos vitrines cryogénisées ? Défis également, car cela a représenté une prouesse technique que de respecter la chaîne du froid entre le fin fond de la Sibérie et le lieu de villégiature temporaire du mammouth à Aichi. Findus et Vivagel ont sans doute des leçons à en tirer… L’Expo se veut ainsi une vitrine technologique des défis toujours plus élaborés que proposent les industriels japonais à l’orée de ce siècle qui commence: robots, énergies propres, technologies audio-visuelles, transports du futur sont au rendez-vous.
Problèmes enfin car la visite se révèle un véritable parcours du combattant pour tous ceux qui sont alléchés par le programme. A l’instar des centaines de mètres de queue nécessaires pour saluer le mammouth, le visiteur devra prendre son mal en patience pour avoir une chance de pénétrer dans les pavillons les plus intéressants. Plusieurs goulots d’étranglement causent en effet des files interminables tout au long d’une journée de visite à l’Expo : sachant qu’à la station de correspondance entre le métro venant de Nagoya et le Linimo arrivant à l’Expo, une rame de métro de six wagons décharge ses visiteurs toutes les quatre minutes et que le nouveau train magnétique n’a que trois petits wagons et ne s’élance vers le site que toutes les dix minutes, combien de temps les dizaines de milliers d’usagers quotidiens vont-ils devoir poireauter à la correspondance ? Réponse : environ 90 minutes, si tout va bien…
Ne pas oublier les 60 à 90 minutes supplémentaires pour franchir l’entrée et ses contrôles draconiens anti-terroristes, anti-pingres et pro-profits. Il est en effet officiellement interdit de faire pénétrer dans l’enceinte de l’Expo des bouteilles en plastique ou des aliments achetés à l’extérieur, les bénéfices des restaurants partenaires passent avant tout… Il a fallu que le Premier ministre en personne intervienne pour que les organisateurs de l’Expo lâchent un peu de leste et acceptent du bout des lèvres les bentô et autres boulettes de riz “fait main”, n’escomptez donc pas faire des économies en achetant au convenience store du coin vos onigiri ou minute-ramen, ils seront impitoyablement jetés à l’entrée (qui a prétendu que cette Expo était celle de l’harmonie avec la nature et contre le gaspillage ?). 40 à 60 minutes de patience supplémentaires seront nécessaires aux imprévoyants ne sachant pas rouler eux mêmes leurs onigiri, ou à ceux qui veulent manger “ethnique”, pour acheter de quoi manger et trouver une place pour s’asseoir : les restaurants de l’Expo n’ont qu’une capacité globale de 6 000 sièges, pour 50 à 80 000 visiteurs journaliers dont l’estomac est irrémédiablement programmé pour gargouiller à midi cinq. Cherchez l’erreur… Toutes ces files d’attente sans avoir encore rien vu. Si la fantaisie vous prend, impétueux visiteur, d’aller voir de près les fameux robots mobiles ou musiciens de Toyota sans avoir réservé un mois auparavant sur internet, préparez-vous à attendre au moins 120 minutes pour obtenir un ticket. Idem pour le pavillon Mitsubishi ou Hitachi… S’il reste un robot à inventer, c’est celui qui ferait la queue à votre place… Au retour, les goulots d’étranglement s’appellent boutiques de souvenirs (une étape obligatoire pour tout visiteur qui se respecte…), et de nouveau la gare d’accès au Linimo. Mammouth ou pas, il faut donc bien du courage pour se décider à braver la foule et se rendre à l’Expo.
Admettons cependant que le visiteur soit aussi stoïque qu’un affamé guerrier sparte devant une poire Belle-Hélène et soit donc prêt à affronter l’hydre à 60.000 têtes pour assouvir sa faim de connaissances. Il va lui falloir impérativement faire des choix car comment tout voir : entre les pavillons d’entreprises, pris d’assaut, et les pavillons nationaux, moins prisés mais moins grisants, il va falloir trancher. A de rares exceptions près, les pavillons nationaux des 121 pays participants sont une version améliorée, luxueuse et en trois dimensions de l’office du tourisme local, vantant à qui mieux mieux les merveilles de leur pays aux touristes potentiels. De ce point de vue, l’Expo fait penser à ces jardins miniatures permettant de “faire” l’Europe ou le monde en 3 heures grâce à des répliques en miniature des principaux chefs d’œuvres architecturaux de notre planète. Ainsi le pavillon Espagnol, qui n’oublie ni Cervantès, ni Gaudi, ni ses champions de football du Real Madrid, ni ses tapas, ni… ni… ni… Pour beaucoup de visiteurs japonais, ces pavillons office du tourisme sont cependant une bonne occasion de découvrir à peu de frais le vaste monde, et qui sait, cela fera peut-être naître de nouvelles modes touristiques.
Les pavillons des entreprises permettent de se faire une idée du monde dans lequel évolueront nos enfants. Hitachi présente les jeux vidéo du futur, où le joueur muni de lunettes 3D-CG saisira “vraiment” dans sa main l’épée avec laquelle il ira combattre les dragons ou, plus prosaïquement, pourra lancer des bananes aux singes gourmands venus lui en réclamer, voire même peigner la girafe. Mitsubishi a dépêché son robot-partenaire Wakamaru pour accueillir les visiteurs et propose une réflexion-spectacle sur écran géant insistant sur l’importance de la Lune pour notre bonne vieille boule encore bleue. Toyota fait évoluer ses i-Unit, des véhicules d’avant-garde à mi-chemin entre la chaise roulante, le fauteuil relax et le scooter, qui préfigurent les moyens de déplacements individuels du futur.
Enfin, s’il reste un peu de temps, les initiatives du NEDO (New Energy and Technological Developpment Organization) permettent d’apprécier les efforts de recherches et d’applications faits par le gouvernement et les entreprises japonaises pour produire plus en polluant moins. Etroitement lié à la conception de l’Expo, le NEDO s’en sert comme d’une vitrine pour familiariser le grand public avec les nouvelles énergies moins polluantes, notamment les centrales au méthane fonctionnant avec nos déchets ménagers.
Si seulement cette manifestation n’était pas plombée par ses problèmes structurels, Expo 2005 n’aurait pas à rougir en terme de contenu. Malheureusement, il est difficile de se concentrer sur les thèmes présentés s’il faut jouer du coude à coude pendant des heures pour avoir une chance de détailler un robot ou un mammouth. Finalement, c’est pas le mammouth qu’il faut dégraisser, c’est la foule qui s’y intéresse… Etienne Barral - Photos :
1 Un des multiples goulots d’étranglement…
2 Chez Toyota, un i-Unit bien coloré…
La France fait figure de bonne élève à l’Expo 2005
Si la France peut avoir un motif de s’enorgueillir à Expo 2005, c’est bien celui d’avoir respecté le cahier des charges des organisateurs japonais de l’Expo en présentant un pavillon réellement consacré au thème choisi pour cette manifestation. Ainsi, le théâtre immersif, conçu et réalisé par Bruno Badiche, plonge les visiteurs dans les affres de notre belle planète bleue à l’origine, et de plus en plus défigurée par nos égoïsmes. C’est un plaidoyer efficace en faveur de notre Terre, d’inspiration très altermondialiste. Le pavillon français est ainsi résolument tourné vers le développement durable et tente d’apporter une touche française à la réflexion mondiale sur ce thème. Au détriment peut-être de ce que pourrait attendre le visiteur japonais lambda qui associe trop souvent l’image France à la déclinaison simpliste “gourmet, art de vivre, mode”.
Alléché par la présence annoncée de Louis Vuitton dans le pavillon, s’il s’attend à découvrir en exclusivité la dernière collection de cette icône de la mode Rive Droite, il en repartira déçu. Louis Vuitton n’est pas là où il est attendu (et c’est peut-être à son honneur de ne pas confondre exposition universelle et foire commerciale). L’îlot “Louis Vuitton” est un parallélépipède recouvert de 4000 tuiles moulées dans du sel marin et éclairé de l’intérieur, ce qui lui donne un bel aspect laiteux et éthéré. Rien à voir, me direz-vous, avec le célèbre monogramme LV si apprécié dans l’Archipel et dans le reste du monde. Certes, il s’agissait juste pour Gérard Cholot, concepteur de cet espace, d’utiliser un matériau réellement biodégradable et novateur, selon le cahier des charges qui lui était imposé par Vuitton. Contrat rempli donc, puisque son idée ne manque pas de sel…
E. B.
Si vous souhaitez aller à la chasse au mammouth ou si une rencontre avec les dernières créations dans le secteur de la robotique vous intéresse, rien de plus simple. Rendez-vous à Nagoya – il existe des vols directs depuis Paris – où, selon que vous arrivez à l’aéroport ou à la gare, vous trouverez des navettes pour vous conduire à l’entrée de l’exposition. Pour pénétrer dans l’enceinte de l’Expo 2005, il vous en coûtera 4600¥ pour les adultes, 2500¥ pour les enfants âgés de 12 à 17 ans, 1500¥ pour les 4-11 ans et 3700¥ pour les plus de 65 ans. Vous pourrez alors partir à la découverte de l’immense parc, tout en sachant qu’il y a foule.