RENCONTRE AVEC : NAKATO SACHIO, PROFESSEUR À L’UNIVERSITÉ D’UTSUNOMIYA
Spécialiste des relations internationales, Nakato Sachio enseigne à l’université d’Utsunomiya. Il est l’auteur d’une étude sur les frictions
commerciales entre les Etats-Unis et le Japon [Nichibei tsûshômasatsu no seijikeizaigaku, éd. Minerva Shobô, 2003].Que pensez-vous de la montée du nationalisme en Chine ? Quel peut être son impact sur les relations sino-japonaises ?
N.S. : La montée du nationalisme en Chine s’accompagne d’un mouvement
antijaponais auquel le gouvernement chinois n’est pas étranger. Il
s’explique notamment par le besoin de faire oublier les inégalités nées
de la forte croissance économique dans ce pays. En choisissant de
montrer du doigt un ennemi, cela permet de détourner l’attention de
l’opinion publique. Par ailleurs, la Chine est également inquiète des
tentatives japonaises de réviser la Constitution, de la coopération
étroite avec les Etats-Unis ou encore de la position du Premier
ministre Koizumi à l’égard du sanctuaire Yasukuni [où l’on rend hommage
aux victimes de la guerre y compris aux anciens criminels de guerre].
D’une certaine façon, on pourrait dire que le nationalisme chinois
traduit un mécontentement à l’égard de la politique intérieure
japonaise. Même si chacun des deux pays s’inquiète du nationalisme
montant chez le voisin, cela ne signifie pas pour autant que leurs
rapports vont empirer dans la mesure où ils n’ont aucun intérêt à
chercher un affrontement direct. Sur le long terme, on peut imaginer
qu’il y aura des phases de coopération et de confrontation au niveau
politique, économique ou historique. Mais à court terme, le Japon a
besoin d’éviter un boycott de ses produits par les consommateurs
chinois. De son côté la Chine doit assurer une certaine stabilité afin
de poursuivre son développement économique.Les
entreprises japonaises sont de plus en plus dépendantes du marché
chinois. Cela peut-il être dangereux pour le Japon d’avoir une
dépendance économique trop forte vis-à-vis de la Chine ?
N.
S. : Je pense que le terme “dangereux” est exagéré. Je dirais plutôt
que cela risque de “fragiliser” le Japon. Il est vrai que la Chine est
le principal partenaire commercial du Japon. Le Centre japonais du
commerce extérieure (Jetro) a annoncé récemment que, pour la première
fois depuis 1993, le Japon avait enregistré un excédent commercial avec
son voisin chinois. Si l’économie japonaise a repris du poil de la bête
ces dernières années, c’est en grande partie grâce aux exportations
vers la Chine. N’oublions pas non plus d’ajouter que les
investissements japonais chez son partenaire chinois ont beaucoup
augmenté ces derniers temps. Il est clair que si la Chine entrait dans
une phase de récession, l’économie japonaise en subirait le contrecoup.Cela dit, la Chine est aussi dans une situation de dépendance à
l’égard du Japon. Les Chinois reconnaissent l’importance de l’aide
économique japonaise. Les autorités multiplient les appels du pied pour
que les grandes firmes japonaises comme Toyota ou Matsushita viennent
s’implanter sur leur territoire. La technologie japonaise est
primordiale pour le développement économique de la Chine. Voilà
pourquoi je préfère parler d’interdépendance économique entre les deux
Etats puisque la Chine est un débouché essentiel pour les produits
japonais et une base de production importante pour les entreprises
japonaises. Dans le même temps, la Chine n’a pas une puissance
industrielle équivalente à celle du Japon.
Sur
le plan culturel, comment voyez-vous évoluer les relations entre Pékin
et Tokyo ? Pensez-vous que les échanges culturels peuvent contribuer à
améliorer les rapports entre les deux pays comme cela a pu être le cas
entre Tokyo et Séoul avec l’intensification de leurs échanges culturels
au cours de ces trois dernières années ?
N. S. : Il est
évident que les échanges culturels favorisent les relations
bilatérales. A long terme, ils doivent permettre de faire évoluer la
perception qu’ont les Japonais de la Chine et vice versa. Encore
faut-il qu’ils soient encouragés comme cela a été le cas avec la Corée
du Sud. Cependant, je pense qu’à court terme cela aura des effets
limités dans la mesure où les problèmes politique, économique et
historique entre les deux pays sont plus complexes. Par exemple, en
dépit du succès de certains artistes japonais ou de la jeune joueuse de
tennis de table Ai-chan en Chine, cela n’empêche pas aujourd’hui les
dérapages nationalistes comme ceux que l’on a pu constater lors de la
phase finale de la Coupe d’Asie des nations qui s’est déroulée en Chine
au mois d’août dernier.
Propos recueillis par Claude Leblanc