J’ai terminé la lecture du dernier livre de Jean-François Sabouret, Besoin de Japon, dans un train local reliant Kyoto à Osaka, par une belle fin d’après-midi. Alors que je me pénétrais des propos de l’auteur, une tête légère vint progressivement s’appuyer sur mon épaule. Il s’agissait de ma voisine de voyage, qui s’était endormie. Quel âge pouvait-elle bien avoir ? 19 ? 20 ans au maximum. Je pourrais, à ce stade de ce récit, m’attendrir sur cette jeune femme se sentant chaque jour suffisamment en sécurité pour s’endormir sur l’épaule du premier compagnon de train venu. Une telle situation est-elle imaginable en France, où nos neurones, portés par une paranoïa paroxystique, nous commandent de rester constamment sur nos gardes, même lorsqu’on est épuisé ? Dans Besoin de Japon, Jean-François Sabouret a fait son choix. Au fil des pages, il nous ouvre son cœur, choisit les anecdotes, les rencontres qui ont jalonné les quelques 30 années qu’il a vécu dans ce pays, pour tenter d’expliquer comment un Français originaire du Berry en arrive à se sentir plus à l’aise au cœur de la capitale japonaise. Chercheur au CNRS, spécialiste de l’éducation au Japon, la carrière professionnelle de Sabouret est intimement liée à l’Archipel. Mais dans ce livre, sans équivoque le plus personnel du chercheur, il nous donne d’autres clés pour la compréhension de ce pays. Avec lui, on découvre des Japonais terriblement humains, sachant rire mais aussi émouvoir. Il nous présente “Grand-mère Nagatani”, sa logeuse éprouvée par l’existence, qui insiste pour adopter ce Français déjà père de trois enfants nés au Japon, plutôt que de voir disparaître sa vénérable maison en bois du quartier de Kagurazaka. Il évoque ce père de famille originaire du Buraku, dont les ancêtres ont littéralement été enterrés comme des chiens, et qui se demande comment donner une éducation correcte à ses enfants, en ce début de XXIème siècle. Il fait revivre “Moustache”, son professeur de sabre à Sapporo, Kamikaze rescapé par miracle le jour de l’abdication du Japon, qui porte sur ses épaules la culpabilité d’être toujours vivant alors que ses compagnons ont tous péri dans l’ultime tentative du Japon impérial pour renverser le cours de l’histoire. Ainsi, par petites touches intimistes, Jean-François Sabouret nous montre un Japon que peu d’auteurs, depuis Nicolas Bouvier, ont su débusquer et mettre en mots. On a bien besoin de “son” Japon pour rétablir l’équilibre avec tant de ces ouvrages écrits par des Diafoirus modernes en escale dans ce pays, ramenant dans leurs bagages tous les clichés nécessaires à alimenter nos fantasmes d’Occidentaux pétris de certitudes. Ces pseudo-japonologues sont-ils capables du recul nécessaire pour mettre en perspective leur propos, certes fort savants et – la plupart du temps – abondamment documentés, avec la réalité humaine, quotidienne, de ceux qu’ils se proposent de disséquer ? Besoin de Japon devrait être offert d’office à tous ceux qui sont en partance pour l’Archipel, où à tous ceux qui, pour y avoir vécu de l’intérieur, en ont gardé la nostalgie. Parvenu à la dernière page du livre, mais pas encore arrivé à la gare d’Osaka, j’ai refermé l’ouvrage en faisant attention de ne pas réveiller cette jeune inconnue qui dormait sur mon épaule, et je me suis perdu dans mes rêveries. Quelques minutes avant notre entrée en gare, la jeune femme a ouvert les yeux, m’a regardé brièvement avec un petit sourire gêné, et comme le chantait Brassens, “partit gaiement vers mon oubli”. Un Japon comme celui-là, j’en ai, moi aussi, besoin… Etienne Barral |
Besoin de Japon, Jean-François Sabouret. Ed. Seuil 18 ¤ |
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