Depuis plusieurs mois,
on ne compte plus les films mettant en scène le Japon.
Ceux-ci soulignent un changement de
perception de l’Archipel en Occident.
Les cinéastes japonais bénéficient d’une cote de popularité élevée chez les critiques et les spectateurs occidentaux depuis quelques années. Kitano Takeshi, Nakata Hideo pour ne citer que ceux-là figurent parmi les réalisateurs les plus prisés. Reconnus et récompensés dans les principaux festivals de cinéma de la planète (Venise, Cannes, Rotterdam, etc.), ils n’avaient pas, jusqu’à présent, rencontré le même enthousiasme dans leur pays où le public préférait les productions hollywoodiennes. Aujourd’hui, les choses ont bien changé. Pour 61 % des personnes interrogées par le mensuel Nikkei Entertainment, le cinéma japonais est devenu bien plus intéressant ces dernières années. Le temps des nanars en série n’est peut-être pas tout à fait révolu, mais de toute évidence, les Japonais sont sensibles à l’originalité et à la fraîcheur de la nouvelle génération parmi laquelle figurent Kurosawa Kiyoshi ou encore Sabu. Cet engouement pour le cinéma nippon s’accompagne d’une redécouverte de l’Archipel par les réalisateurs étrangers, notamment occidentaux qui paraissent désormais plus enclins à donner une image du Japon et de sa population un peu plus proche de la réalité.
L’évolution est particulièrement visible aux Etats-Unis où les films les plus récents mettant en scène le pays du Soleil levant laissent à penser que les Américains ne se contentent plus de “taper sur le Japon” (Japan bashing) comme ce fut le cas au cours des années 80 et 90. Souvenons-nous de Gung Ho de Ron Howard (1986) qui décrivait la reprise houleuse d’une firme automobile locale par des Japonais dont le seul idéal est le travail acharné. N’oublions pas non plus Soleil levant de Philip Kaufman (1993) dans lequel les tensions entre les policiers américains et les Japonais sont exacerbées par les clichés que véhiculent certains des inspecteurs de la police de Los Angeles. Mr. Baseball de Fred Schepisi (1992) raconte l’opposition entre un joueur américain de base-ball sur le déclin qui vient se refaire une santé au Japon et son entraîneur japonais dont les méthodes d’entrainement caricaturales ne manquent pas d’agacer l’ex-star des New York Yankees. A une époque où le Japon constituait une menace pour l’économie américaine, Hollywood avait beau jeu d’entretenir une certaine antipathie à son égard. Depuis les choses ont changé. La crise est passée par là. La super puissance économique capable de rivaliser avec l’Amérique a perdu de sa superbe, devenant soudain vul-nérable. Dès lors, il n’est plus question de le présenter sous un jour négatif.
Le Japon n’est plus ce pays qui a besoin d’imiter la puissante Amérique pour être meilleur, il peut exister en tant que tel avec ses qualités et ses défauts. Lost in translation de Sofia Coppola (2003) est révélateur du changement d’attitude vis-à-vis du Japon. Non seulement il ne s’agit pas d’une opposition virtuelle entre “le Japon” et “les Etats-Unis”, mais plutôt d’une quête identitaire dans un environnement étranger sur lequel n’est porté aucun jugement en particulier. Dans Le Dernier samourai de Edward Zwick (2003), c’est le héros américain Nathan Algren interprété par Tom Cruise qui se pose comme l’élève et non pas le Japonais qui, dans de nombreux films du passé, était présenté comme un imitateur. Dans Mr. Baseball, Jack Elliot (Tom Selleck) ne le rappelle-t-il pas à sa fiancée japonaise : “le Japon prend le meilleur et l’adopte” ?
Les clichés ont cependant la vie dure. Quentin Tarantino, admirateur déclaré de Kitano Takeshi, l’a démontré avec Kill Bill (2003). Reprenant à son compte le film de sabre, genre on ne peut plus japonais, le cinéaste a su le renouveler et apporter une touche vraiment originale. De ce côté-ci de l’Atlantique, le regard cinématographique sur le Japon n’a pas connu les mêmes changements.Ainsi Stupeur et tremblement d’Alain Corneau (2003) s’apparente davantage à Gung Ho ou Soleil levant qu’à Lost in translation dans la mesure où le film se nourrit de l’affrontement entre Mlle Amélie (Sylvie Testud) et un encadrement japonais obtus. Il y a fort à parier que les réalisateurs français et européens vont finir par sortir des poncifs habituels sur le Japon. Ce sera peut-être plus long dans la mesure où les relations entre l’Europe et le pays du Soleil levant n’ont pas eu la même intensité que les rapports nippo-américains depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. La présence de plus en plus régulière de longs métrages japonais sur les écrans français laisse à penser que les spectateurs se sentent plus familiers vis-à-vis de l’Archipel et de ses habitants. L’écrivaine Lisa Bresner est en train d’achever un court-métrage inspiré de son livre Misako. Celui-ci pourrait bien constituer le deuxième exemple, après Tokyo Eyes (1999) de Jean-Pierre Limosin, de la redécouverte du Japon par le cinéma français, avec comme principal objectif, la mise en place d’une “passerelle” entre les deux cultures.
Claude Leblanc
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QUESTIONS – RÉPONSES AVEC CATHERINE CADOU INTERPRÈTE – TRADUCTRICE
On vous considère comme la spécialiste du sous-titrage de films japonais en France. Quel a été votre parcours ? Je
suis à la base interprète de conférences. En 1980, j’ai croisé sur mon
chemin Kurosawa Akira au Festival de Cannes où il présentait Kagemusha.
Chargée de traduire sa conférence de presse, le courant est bien passé
entre nous et je suis devenue son interprète par la suite. C’est ainsi
que je l’ai suivi dans ses démarches pour financer son film Ran. Les
producteurs français qui l’ont aidé à financer Ran lui ont demandé de
pouvoir faire un documentaire sur le tournage, celui-ci étant confié à
Chris Marker. Kurosawa a accepté à partir du moment où j’étais présente
sur le plateau. C’est ainsi que je me suis retrouvée plongée dans le
monde du sous-titrage puisque Chris Marker m’a confié la responsabilité
des sous-titres de son documentaire, AK, puis les producteurs celle de
Ran. Ce fut une révélation pour moi. J’ai enchaîné ensuite avec
l’Enterrement du soleil, un vieux film d’Oshima et Tampopo d’Itami
Juzo. J’ai adoré la diversité des univers et des langages.
Quels sont les principes de base pour réussir un bon sous-titrage ? Lorsque
je me suis retrouvée impliquée dans l’aventure de Ran et de son making
of réalisé par Chris Marker, ce dernier m’a donné quelques conseils
importants qui me servent encore. L’essentiel, me disait-il, c’est de
respecter le rythme de la phrase japonaise, quitte parfois à rendre des
phrases qui ne correspondent pas exactement à la manière dont elles
seraient dites en français. Par exemple, dans Dodes’kaden de Kurosawa
(voir p. 15), il y a une scène où le garçon-tram entre chez M. Tanba.
En japonais, il dit : “Tanba-san, ohayô”. J’ai traduit : “M. Tanba,
bonjour !” alors qu’on dirait plus naturellement en français “Bonjour,
M. Tanba”. Le choix s’explique par la nécessité non seulement de
respecter le rythme de la langue originale mais aussi de coller aux
images. L’expression du visage de l’acteur ou bien la position des
personnages dans les plans, tout cela importe quand on fait le
sous-titre. On ne doit pas seulement s’appuyer sur le texte. Il est
essentiel que chaque sous-titre tienne en lui-même. Je n’aime pas les
sous-titres déséquilibrés avec un verbe ou un pronom relatif qui
annoncent la suite. Par exemple dans Zatôichi de Kitano, l’un des
personnages dit : “Toi le samourai sans maître/est-ce bien toi/celui
qui veut devenir garde du corps ?”. Ce découpage correspond
parfaitement à la séquence mais le distributeur a voulu mettre la
phrase dans un ordre “français” : “ainsi toi, le ronin/ tu veux/devenir
garde du corps ?”. Mais cela ne tient pas. Cet exemple illustre les
difficultés que l’on peut rencontrer avec les distributeurs qui n’ont
pas l’image en tête et qui n’ont pas le rythme de la phrase japonaise
ou qui la minimisent. C’est dommage.
Y a-t-il des films ou des réalisateurs plus difficiles que d’autres à sous-titrer ? Ozu
est très difficile car il a un langage qui coule comme de l’eau et il
n’y a pas beaucoup d’aspérités déjà au découpage. C’est très difficile
de découper. Et puis, il utilise des mots assez neutres. Le défi
consiste donc à trouver des termes aussi neutres qu’en japonais. Si
l’on ajoute tous les “tadaima” ou les “okaerinasai” qui sont chargés de
sens différents selon les personnages, c’est très difficile à rendre et
il n’y a pas une traduction standard pour ces expressions. Kitano est
aussi difficile parce qu’il a très peu de dialogues et ces derniers
sont plutôt “en éclats”. Quand il parle, c’est très condensé, c’est
très fort. Ou alors il ne parle pas. C’est vraiment très très dur, mais
c’est aussi passionnant car la contrainte formelle devient un
formidable défi.
Propos recueillis par Claude Leblanc
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LES MALENTENDUS DE LA DISTRIBUTION
Depuis
quelques années, le nombre des films japonais distribués en salles a
sensiblement augmenté, par suite d’une mode durable, qui concerne
d’ailleurs tout le cinéma asiatique. Alors que les nippocinéphiles se
sont longtemps plaints d’un “manque à distribuer”, on peut voir
désormais une bonne vingtaine de films japonais récents sur nos écrans
par an (contre moins de dix avant 2000), sans compter les rééditions
régulières de classiques (Mizoguchi, Kurosawa, Ozu, etc.), souvent
liées à la sortie DVD. Ce phénomène est certes positif, mais ne va pas
sans subir les effets d’une certaine “mondialisation”. Certains
distributeurs ont pris la mauvaise habitude de ne même plus mentionner
le titre original, ou d’inventer des titres anglais qui n’existaient
pas : Dernier exemple : Jellyfish, au lieu de Méduse(s) pour Akarui
Mirai (Un Avenir radieux) de Kurosawa Kiyoshi, chez Ad Vitam). D’autres
conservent tout ou partie du titre original (Hanabi, Shara…), même si
seulement 2 % des spectateurs comprennent le japonais. Une autre forme
de snobisme culturel ? La plupart des films récents, sortis par une
multitude de plus ou moins “petits distributeurs” (Pretty Pictures, Ad
Vitam, Zootrope Films), mais de plus gros comme Pyramide, Bac Films,
GBVI, qui profitent en général des aides du Centre national de la
cinématographie (CNC), sont des “films d’auteur” présentés dans les
festivals internationaux. Des “auteurs” vrais ou faux, souvent gonflés
par une critique parisienne exagérément enthousiaste, dont les noms
sont censés garantir un relatif succès public, ce qui est vrai pour
Kitano “Beat” Takeshi, par exemple (Hanabi ou Zatôichi ont été
plébiscités par le public), mais faux pour la majorité des cinéastes
même “cotés” (Kurosawa Kiyoshi, Kawase Naomi, Aoyama Shinji, etc.).
D’ailleurs, la plupart de ces nouveaux films connaissent des sorties
ultra-confidentielles au Japon même ! Il y a un vrai malentendu entre
la France et le Japon dans ce domaine. D’un autre côté, le “grand
public” (jeune) s’enthousiasme aisément pour tout ce qui est estampillé
manga ou animé, comme le prouve le large succès des films de Miyazaki
Hayao, Takahata Isao, distribués à l’américaine par GBVI, filiale de
Disney.
Enfin, du côté des classiques, la mauvaise nouvelle vient de ce que le
principal distributeur de films japonais en France, Alive, a dû déposer
son bilan l’an dernier, avec un catalogue de près de 130 films. Si de
plus importantes sociétés, comme MK2, pensent à rééditer les principaux
auteurs (Ozu, Mizoguchi, Kurosawa, etc.), les autres risquent de
connaître un long purgatoire, les Majors japonaises étant devenues
financièrement très gourmandes. Il faut donc se replier sur le DVD, qui
offre un choix de plus en plus large, notamment chez certaines sociétés
très actives (Wild Side ou encore Arte). Mais la facilité de l’accès
n’engendre-t-elle pas aussi une certaine banalisation ou indifférence
dans un maelström de sorties anarchiques, dans un marché hyper-saturé ?
Max Tessier
Zatôichi de Kitano Takeshi
Leçon
Réalisé
en 1970, Dodes’kaden de Kurosawa Akira est sorti une première fois en
France avec des sous-titres réalisés à partir de la version anglaise.
Quelques années plus tard, Catherine Cadou a été chargée de les
refaire. Elle nous montre ici par l’image comment elle a travaillé :
Bonjour, Mr. Tanba !
(version 1)
M. Tanba, bonjour !
(C. Cadou)
Bonjour.
(version 1)
C’est toi ? Bonjour !
(C. Cadou)
Récites-tu toujours tes prières ? (v1)
Dis-moi… (C. Cadou)
… (version 1)
Tu fais bien tes prières ?
(C. Cadou)
C’est dur pour ta mère.
(version 1)
C’est que c’est dur pour ta mère !
(C. Cadou)
Ça va, je m’occupe d’elle.
(v1)
Mais non, tout va bien.
(C. Cadou)