A bien observer les visages du Premier ministre Koizumi Junichirô, leader du Parti libéral-démocrate (PLD), et de Kan Naoto, son principal rival à la tête du Parti démocrate (PD), on avait bien du mal, dimanche 9 novembre, à déterminer lequel des deux personnages devait être le plus satisfait du scrutin. Le premier affichait une mine presque défaite tandis que le second arborait un sourire qui pouvait laisser supposer que son parti était le grand vainqueur de l’élection. Or on ne le répète jamais assez, les apparences sont trompeuses. Le PLD de M. Koizumi et son allié du Kômeitô ont obtenu 278 des 480 sièges à la Chambre basse contre 177 au PD de l’ancien ministre de la Santé. La mine réjouie de Kan Naoto s’explique par le bond en avant réalisé par son parti lors de ce scrutin. En gagnant 40 sièges de plus dimanche, le PD figure désormais comme un adversaire capable de contester les décisions gouvernementales. Et c’est sans doute cela que le visage figé du Premier ministre semblait regretter en dépit du résultat acquis par son parti. En effet, les électeurs ont décidé de laisser une nouvelle chance à la coalition gouvernementale en lui permettant de contrôler l’ensemble des commissions parlementaires à la Chambre basse et de légiférer comme bon lui semble. La campagne électorale qui a conduit à ce résultat a été particulièrement intéressante dans la mesure où les Japonais se sont, pour la première fois, déterminés en fonction de programmes politiques. Par ailleurs, la réforme du scrutin établie en 1994 a porté ses fruits, en obligeant les différentes formations à convaincre les électeurs avec des projets concrets plutôt qu’à entretenir un clientélisme anachronique. Le Parti libéral-démocrate et le Kômeitô ont uni leurs forces pour récolter le maximum de voix tandis que le Parti démocrate a fusionné quelques mois avant le scrutin avec le Parti libéral afin de disposer des mêmes atouts que ses rivaux. La stratégie a payé dans la mesure où les deux formations opposées dominent le paysage politique du pays. C’est l’autre enseignement de l’élection du dimanche 9 novembre. Le Japon a basculé dans le bipartisme avec la quasi disparition des petites formations qui ont subi de plein fouet la montée du Parti démocrate et le maintien du PLD. Le Parti communiste (9 sièges contre 20 précédemment), le Parti social démocrate (6 contre 18) ou encore le Nouveau Parti conservateur (Hoshu Shintô, 4 contre 9) en ont été les principales victimes. Le Hoshu Shintô vient d’ailleurs d’annoncer sa fusion avec le Parti libéral-démocrate, comprenant l’inutilité de continuer à exister en tant que tel. A la différence de la France où les électeurs privilégient les petits partis au détriment des grandes formations, le Japon semble mûr pour se doter d’un système où l’alternance devient possible après plus de 50 ans de domination libérale-démocrate. Le PLD reste aux commandes mais il va devoir rendre des comptes et entreprendre les réformes promises depuis longtemps. M. Koizumi, dont on ne peut pas douter des intentions, a réussi à imposer sa volonté aux membres les plus conservateurs de son mouvement avant le scrutin. Le résultat de ce dernier le conforte dans sa position, mais il l’oblige également à être plus attentif aux attentes de l’opinion publique. Les Japonais ont d’ailleurs rappelé au Premier ministre ainsi qu’aux autres politiciens qu’ils étaient las de la stérilité de leur politique en étant peu nombreux à se rendre aux urnes. C’est un point qu’il faut garder à l’esprit. L’un des plus grands défis pour M. Koizumi sera de reconquérir cette partie de l’opinion publique qui a cessé de croire en la politique traditionnelle. On comprend dès lors l’expression peu enthousiaste du Premier ministre à la proclamation des résultats. M. Kan pouvait, quant à lui, se frotter les mains car il sait que le prochain scrutin – les élections sénatoriales – prévu en 2004 pourrait bien lui être très favorable si le gouvernement ne met pas en œuvre entre autres la réforme des retraites autour de laquelle il a bâti son programme électoral. Claude Leblanc |
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