De tous les grands secteurs de la société japonaise, la presse est la seule à ne pas avoir entrepris de réforme en profondeur au cours des dernières années. Pourtant la situation des médias, en particulier, dans la presse écrite, est loin d’être florissante. Depuis le 1er avril 2002, le Sankei Shimbun (2,9 millions d’exemplaires) a supprimé son édition du soir dont les ventes n’ont pas cessé de s’émousser au cours des dernières années. Le journal ultra conservateur n’est sans doute que le premier de la liste à devoir sacrifier sa seconde édition quotidienne, car la réalisation d’une seconde édition quotidienne coûte de plus en plus cher. Comparées aux décennies précédentes, les rentrées publicitaires qui pouvaient justifier la publication d’une édition l’après-midi sont en chute libre. La diffusion des journaux est aussi mal en point. En 2001, un foyer japonais lisait en moyenne 1,12 quotidien par jour contre 1,29 vingt ans plus tôt. Une autre décision est révélatrice de la crise. Le Yomiuri Shimbun qui avait été le premier journal à lancer, en 1977, une édition par satellite distribuée aux Etats-Unis puis en Europe vient d’annoncer la suspension de cette activité outre-Atlantique. La baisse du nombre d’abonnés, la faiblesse des rentrées publicitaires et la concurrence d’Internet ont motivé cette décision toute symbolique qui souligne la situation de crise à laquelle les poids lourds de la presse sont confrontés. Toutefois ceci n’est peut-être que la partie visible de l’iceberg. En effet, derrière ces dif-ficultés écono-miques se cache un mal plus profond, tout simplement un rejet de la presse traditionnelle que de nombreux Japonais accusent d’être complice du pouvoir res-ponsable à leurs yeux de tous les maux dont souffre le pays actuellement. Le succès de publications engagées comme l’hebdomadaire Shûkan Kinyôbi, créé en 1993, en témoigne. Mais c’est encore Internet qui risque de jouer des tours aux journaux avec le développement et le succès de sites d’information alternatifs fondés sur le principe du journalisme citoyen, c’est-à-dire la mise en commun d’informations rapportées par des volontaires. Ici on refuse les professionnels et on rejette le prêt-à-imprimer fourni par les administrations ou les grandes entreprises au travers des clubs de la presse (kisha kurabu) et pris pour argent comptant, pense-t-on, par les journalistes des médias traditionnels. Car l’ensemble des journaux ont accepté les règles du jeu imposées par le pouvoir politique. La création des clubs de la presse ont vu le jour dans les premières an-nées de l’ère Meiji vers 1880. A cette époque, les journa-listes devaient patienter dans des salles d’attente (tomarijo) avant de pouvoir recueillir des informations auprès des officiels. Avec le temps et la loi sur la presse de 1909, les clubs de la presse sont devenus pour le pouvoir des instruments de contrôle des journaux. Les forces d’occupation américaine ont aboli la loi de 1909 mais n’ont pas inclus les clubs de la presse dans leur directive, permettant ainsi au système de perdurer. L’engouement des Japonais pour les activités associatives, la remise en cause dans de nombreuses préfectures de l’ordre politique établi par la montée en puissance de candidats affiliés à aucun parti et le désir d’une partie de la population d’exercer un contrôle sur les grands sujets touchant sa vie quotidienne expliquent en grande partie la réussite d’un site comme JANJAN (Japan Alternative News for Justices And New culture, http://www.janjan.jp). S’appuyant sur l’exemple sud-coréen OhmyNews qui est aujourd’hui l’une des sources d’information les plus prisées de l’autre côte du détroit de Tsushima, les initiateurs du projet japonais ont voulu développer un journal fait pour et par les citoyens où les sujets les plus variés sont abordés de façon directe parfois brutale. Lancé en février 2003, le quotidien en ligne se présente comme le premier journal alternatif sérieux de l’ère Internet et envisage de “mettre à plat l’idée traditionnelle que l’on se fait des médias”. Vaste entreprise mais semble pas faire peur à toutes et tous ceux qui alimentent quotidiennement le site en articles. D’ailleurs dès la page d’accueil, le visiteur est sollicité pour devenir lui-même un journaliste citoyen, car finalement chacun peut avoir quelque chose d’intéressant à rapporter. Bien sûr, l’intérêt que portent les Japonais pour ce genre de publication ne se traduira pas par la disparition rapide des journaux traditionnels tant leur présence est indissociable du Japon lui-même, mais il pourrait bien accélérer une prise de conscience dans la presse. Dès lors, l’idée de se réformer et de se rapprocher de nouveau de ses lecteurs en leur livrant un contenu moins révérencieux n’apparaîtra plus comme saugrenue aux yeux des professionnels de l’information. Claude Leblanc |
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