Devant le militarisme japonais, je n’ai opposé aucune résistance et je dois malheureusement admettre que je n’ai pas eu le courage de résister activement d’une manière quelconque, je me suis seulement débrouillé avec la censure en m’insinuant, quand c’était nécessaire, dans ses bonnes grâces ou bien en la déjouant. Je ne suis pas fier, mais je dois être honnête sur ce point”. Ces propos de Kurosawa Akira concernant sa participation artistique à l’effort de guerre nippon lorsqu’il réalisa en 1944 Ichiban utsukushiku (Le plus beau) rappelle que le cinéma a toujours été considéré par les autorités comme un instrument de propagande idéal. D’autant plus que le 7ème Art suscite un véritable engouement de la part de la population japonaise qui fréquente de plus en plus assidûment les salles obscures notamment celles du quartier d’Asakusa à Tokyo. Devant l’intérêt manifesté par les Japonais pour le cinéma, le gouvernement japonais encourage les studios à produire des œuvres patriotiques à partir de la fin des années 1920, au moment où l’empire du Soleil levant s’apprête à entrer dans une guerre dont il sortira finalement vaincu. C’est cet engagement de l’industrie cinématographique nippone en faveur de la politique militariste de l’Etat que Peter B. High analyse dans un remarquable ouvrage The Imperial Screen : Japanese Film Culture in the Fifteen Years’ War, 1931-1945 [L’Ecran impérial : la culture cinématographique au Japon entre 1931 et 1945, éd. University of Wisconsin Press, 2003]. Rappelant les événements importants qui ont conduit le Japon à la catastrophe finale, l’auteur montre avec force de détails comment les réalisateurs, les scénaristes, les producteurs et les bureaucrates ont collaboré pour soutenir l’effort de guerre. Une association indispensable aux yeux du gouver-nement japonais dans la mesure où le nombre de salles a fait un bond considérable, pas-sant de 1 586 en 1935 à 2 363 salles en 1940. Paru initialement en japonais, en 1995 quand le Japon célébrait le cinquantième anniversaire de la fin de la guerre et s’interrogeait sur ses responsabilités dans le conflit, cet ouvrage est aujourd’hui traduit en anglais et donne la mesure des conséquences de la collusion entre artistes et un régime totalitaire. Voilà une étude essentielle pour saisir cette période cruciale de l’histoire contemporaine du Japon. Elle permet également de s’interroger sur le rôle du cinéma dans le façonnage de l’opinion publique y compris de nos jours. L’image que les films américains véhiculent des personnes originaires des pays arabes ou encore celle que Lars von Trier donne de l’Amérique dans son dernier film, Dogville, nous montre que le cinéma constitue toujours un rouage important de la formation idéologique des masses. C. L. |
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