Plébiscité par l’opinion publique, lors de son arrivée au pouvoir, en 2001 en tant que réformiste patenté, Koizumi Junichirô est loin aujourd’hui de faire l’unanimité à ce sujet. Le dernier sondage réalisé par l’Asahi Shimbun, les 24 et 25 mai dernier, est révélateur de la désillusion qui a gagné les Japonais à l’égard de l’engagement réformateur de leur Premier ministre. L’absence de résultats tangents, la hausse du chômage qui a atteint son niveau le plus haut en 2002 (5,4 % de la population active) et la montée du malaise sociale conduisent désormais les Japonais à réclamer une politique de relance économique plutôt que la mise en chantier de réformes dont ils se disent qu’elles ne verront finalement pas le jour. Très clairement, 67 % des personnes interrogées par l’Asahi Shimbun privilégient les efforts en faveur d’un redressement économique sur un programme de réformes à plus long terme. Voilà qui confirme d’ailleurs les propos d’Aurelia George Mulgan qui écrit dans son dernier ouvrage intitulé Japan’s Failed Revolution : Koizumi and the Politics of Reform (La Révolution ratée : Koizumi et la politique des réformes, éd. Asia Pacific Press, 2003) que “les Japonais ont perdu leurs illusions avec la crise économique. Mais cela n’a pas engendré de mouvement social important, lequel aurait poussé les tenants de l’immobilisme à se montrer plus ouverts à des solutions politiques originales et à se ranger derrière les idées défendues par le Premier ministre lors de son accession au pouvoir”. La perte de confiance est telle que certains commencent à s’interroger sur les conséquences que cela pourra avoir sur l’avenir du Japon. Dans sa livraison de février 2003, le mensuel Sekai a publié un Récit sur la pauvreté moderne (Gendai binbô monogatari), faisant écho au célèbre Récit sur la pauvreté (Binbô monogatari) paru en 1916 dans lequel Kawakami Hajime soulignait la fracture sociale dans la société nippone. Le malaise est bien ancré dans la population, y compris chez les jeunes. 75 % d’entre eux estimaient dans une enquête d’opinion réalisée par le Yomiuri Shimbun au début de l’année que “les choses ne s’amélioreraient pas quels que soient les efforts qui seront faits”. Le Japon semble donc enclin à broyer du noir d’autant que l’environnement économique international n’est guère reluisant. Cette morosité ambiante ne doit cependant pas masquer les transformations entreprises au Japon depuis plusieurs mois, lesquelles annoncent peut-être des lendemains qui chantent. Dans le domaine technologique, en particulier, le pays du Soleil levant a lancé un vaste chantier destiné à le placer parmi les principaux acteurs scientifiques au cours des prochaines années. Avec 120 milliards d’euros investis, l’Archipel est, après les Etats-Unis, le pays qui dépense le plus dans le secteur scientifique. En 2002, les dépenses de l’Etat ont augmenté de 2 % malgré les restrictions budgétaires générales. Les résultats ne sont pas encore tous visibles mais le Japon commence à récolter les premiers fruits de cette politique. Selon un rapport de l’Union internationale des télécommunications (ITU), le Japon occupe désormais la première place mondiale en ce qui concerne l’accès aux télécommunications à haut débit tant au niveau de leur faible coût que de leur rapidité. Une bonne nouvelle qui intervient au moment où le gouvernement japonais dévoile l’Acte II de sa stratégie pour un Japon branché (e-Japan senryaku II) qui sera officiellement mis en œuvre dans les jours à venir. Après avoir mis l’accent sur les infrastructures, l’Etat entend favoriser l’usage des nouvelles technologies de communication parmi la population car, paradoxalement, le Japon ne se situe qu’au douzième rang mondial en ce qui concerne le pourcentage de personnes connectés à des services de haut débit. Le projet gouvernemental vise donc à privilégier le développement de services au niveau de l’administration, du travail, du savoir, des petites et moyennes entreprises, de la vie quotidienne ou encore de la santé. Progressivement le pays du Soleil levant passe du statut de société industrielle à celui de société de l’information au risque de réduire à court terme sa compétitivité. Mais il faut rendre justice aux autorités gouvernementales actuelles qui ont décidé d’aller de l’avant et de mettre tous les atouts de leur côté pour réussir cette révolution. Le Parlement a voté ou a modifié plusieurs lois afin d’assurer le libre accès aux infrastructures haut débit ainsi que leur sécurité. Comme le soulignait récemment le Nihon Keizai Shimbun, le principal quotidien économique du pays, il est essentiel de favoriser l’usage de ces nouvelles technologies sans quoi il sera difficile de les exporter et d’être compétitif. Le Japon a donc fait une partie du chemin. L’objectif officiel du gouvernement japonais est de faire du Japon, d’ici 2005, la première puissance mondiale dans le secteur des nouvelles technologies de communication. A ce moment-là, l’Archipel aura les moyens de faire taire les plus moroses. Claude Leblanc |
Le double jeu de Koizumi |