Comme la plupart de ses collègues de l’ex-“nouvelle vague” nippone, Yoshida Kijû a éprouvé de grosses difficultés à produire récemment ses films d’auteur. Ayant tourné pour la télévision (comme Oshima ou Imamura), et après deux films de cinéma (Promesse / Ningen no yakusoku, 1986, et Onimaru / Arashigaoka, 1988), il revient aujourd’hui sur la scène internationale, avec Femmes en miroir (Kagami no onnatachi), de nouveau une co-production franco-japonaise (ici avec Philippe Jacquier, jeune producteur cinéphile et ambitieux).
Ne cédant rien à ses ambitions d’auteur et à sa propre vision du cinéma, de haute volée, Yoshida aborde à sa manière le traumatisme d’Hiroshima, à travers les destins entrecroisés de trois femmes. Aï (Okada Mariko, alias Mme Yoshida) retrouve sa fille Masako (Tanaka Yoshiko), qui avait disparu depuis 24 ans et qui est devenue amnésique. Le seul mot qui lui vient à la bouche est “Hiroshima”, alors qu’elle ne se souvient pas du bébé qu’elle a eu et qui a disparu. A partir de là, Aï, Masako et Natsuko (la petite-fille d’Aï) vont entreprendre un voyage à Hiroshima, pour percer le secret de leur mémoire. Une mémoire brisée, comme tous ces miroirs éclatés qui balisent le film.
Alors qu’Imamura évoquait lui aussi le drame d’Hiroshima avec un très fort réalisme dans Pluie noire (Kuroi ame), Yoshida emprunte une autre voie, plus intellectuelle et symbolique, en restant fidèle à son style, encore plus épuré. Si la première partie du film est un peu longue et bavarde, la seconde, qui débute par l’arrivée à Hiroshima, nous fait réellement entrer dans le mystère de ces femmes à la recherche de leur identité, et dans celui de la mémoire, qui est l’élément nourricier du film. Comme toujours chez Yoshida, le souci d’écriture et la pensée prennent le pas sur toute tentative de “réalisme”, à l’opposé d’Imamura: “Plutôt que de parler avec des images, je préfère chercher à évoquer des images avec mes films. Je voulais renforcer davantage cette démarche dans ce film (…). (Yoshida).
La fin, avec ses images de mer déchaînée, et de rouge solaire sang qui envahit tout l’écran, nous introduit à une autre dimension, avec une certaine fascination intellectuelle et esthétique, qui nous renvoie à notre propre miroir, et à nos éventuelles fêlures. Femmes en miroir est donc un bloc sans failles, qui demande la plus grande attention des spectateurs, ce qui n’est pas si fréquent aujourd’hui. On entre complètement dans ce bloc mental, ou on reste carrément à l’extérieur…
Sore ja, mata
Max Tessier
“Femmes en miroir” de Yoshida Kiju
Sortie
Femmes en miroir (Kagami no onnatachi),
de Yoshida Kiju (2002), 2h09. Avec Okada Mariko,
Tanaka Yoshiko, Sae Issiki, Murota Hideo. Le 2 avril.
DEAUVILLE 2003
Le 5ème Festival du Film Asiatique de Deauville a eu lieu du 13 au 16 mars, sous une nouvelle direction (“le Public Système”), tout en présentant la programmation de l’ancienne équipe, dans ce qu’il est convenu d’appeler “une année de transition”. Edition calme, et même un peu terne, où le Japon a cependant trouvé sa place grâce à des films très différents : le dernier film de Sabu, Kofuku no kane (Blessing bell, curieuse parabole sur un chômeur quasi-muet, Terajima Susumu, un peu trop calculée); Keimusho no naka (Doing Time), chronique enjouée et émouvante de vies en prison, avec Yamazaki Tsutomu; l’horrible Jisatsu circle (Suicide club), de Shion Sono, complaisante mise en images des suicides collectifs de collégiennes (qui a beaucoup plu aux jeunes!) et Tamala 2010 (A Punk Cat in Space), animé adulte de T.O.L. (“Collectif Trees of Life”), qui réjouira ou effraiera les amateurs de félins. Mais le seul film japonais qui ait obtenu un prix reste Koboreku tsuki (Moon overflowing), chronique existentielle en DV de Sakamaki Ryôta (Lotus du “numérique”).
La grande majorité des autres prix (Lotus) est allé au film chinois (Hong Kong / Allemagne) de Li Yang, Blind shaft, étonnant film social et criminel dans le milieu des mineurs (de charbon).
Rendez-vous à Deauville 2004, avec la nouvelle équipe, dont on attend un changement significatif.
(De notre envoyé spécial, Max Tessier)