Il n’y a pas loin de dix ans sortait un numéro de Mangazone consacré au Shôjo manga (manga pour filles). En ces temps reculés où le «phénomène manga» ne faisait pas encore la couverture de Télérama (voir l’édifiant «dossier» proposé par l’hebdo au mois d’août sur le sujet), Mangazone était l’un des rares – si ce n’est le seul – fanzines à parler intelligemment de la bande dessinée japonaise dans son ensemble. Or, en consacrant son cinquième numéro au shôjo manga, il avait vu ses ventes baisser sensiblement, ce qui témoignait d’un cruel manque d’intérêt de la part de la poignée d’amateurs de BD nippone de l’époque qu’on n’appelait pas encore «otaku». Fort heureusement depuis quelques années le public des mangas s’est considérablement diversifié et on ne peut que se réjouir de voir un nombre croissant de shôjo manga envahir les présentoirs de nos librairies. D’ailleurs, Akata, la nouvelle collection manga des éditions Delcourt ne propose-t-elle pas deux titres destinés aux filles (Fruit Basket et Nana – si le premier est plutôt banal, le second est d’une lecture agréable) sur les quatre déjà sortis ? La publication de La rose de Versailles (chez Kana) de Ikeda Riyoko s’impose donc aujourd’hui comme une évidence après plusieurs années de vaches maigres pour le lecteur un peu curieux . Bien sûr, la série doit plus sa traduction à la renommée qu’a acquis la série en France sous sa forme animée Lady Oscar («vu à la TV» proclame d’ailleurs l’autocollant sur la couverture) qu’à son indéniable statut de classique au Japon depuis 30 ans. Mais enfin, comment faire la fine bouche face à cet imposant pavé de près de mille pages qui mêle allègrement petite et grande Histoire de France dans un tourbillon de larmes, d’amours impossibles et de rebondissements plus ou moins rocambolesques. Certes, les nobles de ce Versailles du XVIIIème ne portent pas de perruques et Oscar (une femme élevée comme un homme par son père) est nommée capitaine des gardes royaux à 14 ans! Oui, toutes les dames de la cours se ressemblent et les décors sont à peine esquissés mais c’est l’exubérance des sentiments, l’éclatement de la mise en page (marque de fabrique de la plupart des shôjo mangas) et le rythme trépidant de l’ensemble qui priment et emportent haut la main l’adhésion du lecteur. Dans un tout autre genre, Casterman lance «Ecritures», une nouvelle collection dédiée aux longs récits en noir et blanc, et en profite pour poursuivre la traduction de l’œuvre de Taniguchi Jirô, l’un des rares auteurs rescapés de leur défunte collection manga (si ce n’est déjà fait, ruez-vous sur son Homme qui marche, une pure merveille de poésie contemplative). Dans Quartier lointain, Hiroshi, salaryman ordinaire de 48 ans, se retrouve littéralement plongé dans son enfance au détour d’un séjour involontaire dans sa ville natale et se voit contraint de revivre ses 14 ans. A partir d’une idée toute simple Taniguchi soulève des questions fortes et universelles (si je pouvais revenir en arrière, que ferais-je de différent? Quel regard porterais-je sur mes amis, ma famille? ) avec une finesse et une profondeur qui va en s’affinant au fil de ses différents albums, tant dans les sujets abordés que dans son dessin. Si dans L’homme qui marche, son trait, d’une précision et parfois même d’une froideur presque clinique, pouvait en rebuter certains, sa plume a désormais gagné en spontanéité, en légèreté. Ici, chaque expression, chaque geste est d’une telle justesse qu’on ne peut que rester admiratif devant un dessinateur au trait presque zen qui insuffle tant de sérénité à travers ses pages. Notons au passage le très bon travail d’adaptation de Frédéric Boilet qui a su rendre les dialogues naturels et fluides. Pour finir, un petit crochet par un genre encore mal connu en France, le manga horrifique. Dans Spirale, de Ito Jun (Ed. Tonkam), la petite ville de Kurouzu devient le théâtre d’événements fantastiques de plus en plus délirants et sanglants autour du motif omniprésent de la spirale. Ce symbole hypnotique est un prétexte que l’auteur prend un malin (malsain?) plaisir à traiter sous toutes ses formes les plus grand-guignolesques (corps enroulés en spirale etc.) malheureusement au détriment d’une histoire sans grande surprise. Un film a d’ailleurs été adapté de ce manga, ce qui n’est peut-être pas étranger à la décision de l’éditeur de publier cet album au dessin très noir, typique des BD d’épouvantes nippones, genre après tout encore mal connu en France. Dans un style tout aussi surnaturel mais nettement plus envoûtant on attend avec impatience la traduction des BD de Mizuki Shigeru annoncée par Dominique Véret, directeur de collection d’Akata. Mais ne chipotons pas. Après tout, qui aurait cru il y a dix ans que l’édition du manga se porterait aujourd’hui aussi bien dans notre pays ? Jérémie LEROI |
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