Le 17 septembre, pour la première fois depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, un Premier ministre japonais en exercice foulera le sol nord-coréen. Cet homme, c’est Koizumi Junichiro. Quoi d’étonnant à cette visite dans la mesure où le chef du gouvernement nous a habitués à des déclarations prometteuses de grands changements. Jusqu’à présent, il est vrai que la plupart des paroles prononcées par M. Koizumi concernaient les affaires intérieures de l’Archipel et que celles-ci en sont restées à l’état de mots lancés en l’air. Très loquace sur la nécessité de réformer le pays en profondeur compte tenu de ses difficultés à se sortir de l’ornière, le Premier ministre s’est montré en revanche fort maladroit pour mettre en pratique ses idées révolutionnaires. D’où la dégringolade dans les sondages d’opinion, lesquels depuis le début de l’année lui sont défavorables. Son incapacité à trancher, par exemple, la question liée à la gestion des travaux autoroutiers qui grèvent inutilement le budget de l’Etat, en acceptant toutes sortes de compromis, est une des illustrations les plus visibles de son indécision. Il est fini le temps où les foules étaient prêtes à s’arracher l’album officiel de ses photographies ou encore la compilation de ses morceaux de rock préférés. Alors pragmatique – il ne faut pas tout lui retirer – il a choisi de frapper un grand coup en annonçant son voyage à Pyongyang. Cela lui a permis de redresser un peu sa cote de popularité car, on le sait, la question coréenne est un sujet de préoccupation pour la population. Outre les missiles nord-coréens qui ont désormais en ligne de mire n’importe quel point de l’Archipel, Koizumi Junichiro abordera la question délicate des Japonais enlevés par des agents nord-coréens, celle des rapports avec Séoul ainsi que celle des incidents qui se sont multipliés ces derniers mois entre des navires nord-coréens et des bâtiments de la marine japonaise. Pour les spécialistes de la Corée du Nord, il est peu probable que le Premier ministre nippon obtienne des résultats probants avec Kim Jong-il, habitué à souffler le chaud et le froid au gré de ses intérêts immédiats. Mais qu’importe finalement, M. Koizumi aura réussi une nouvelle fois à créer la surprise auprès d’une population japonaise pourtant grisée. Reste à savoir combien de temps l’opinion publique tolérera cette poudre aux yeux. Sans doute pas très longtemps, dans la mesure où des hommes d’action – des vrais ceux-là – sont en train de prouver que le courage en politique n’est pas un vain mot et qu’il peut être récompensé. Après avoir consulté la carte de la Corée du Nord, M. Koizumi a sans doute jeté un œil sur celle du Japon pour voir qu’à quelques centaines de kilomètres de Tokyo, un politicien avait su prendre des risques et avait surtout osé affronter tous ceux que lui, Premier ministre, préférait ne pas froisser. Tanaka Yasuo, le gouverneur de Nagano, a en effet compris que les Japonais ne pouvaient plus se satisfaire de vaines promesses mais qu’il fallait prendre des risques pour arriver à ses fins. Ses conci-toyens le lui ont d’ailleurs bien rendu. A l’instar de M. Koizumi et de ses routes “inu-tiles”, M. Tanaka avait notamment promis lors de sa première élection de mettre un terme à la construction de barrages, destructeurs de l’environnement. Son choix très impopulaire au sein de l’assemblée locale où la plupart des élus sont issus d’un système fondé sur le clientélisme par le biais du financement des travaux publics lui a valu de subir une motion de censure et d’être contraint à la démission début juillet. “Droit dans ses bottes”, pour reprendre l’expression d’Alain Juppé, Tanaka Yasuo a donc remis son mandat en jeu, en donnant aux électeurs la possibilité de confirmer ou non ses engagements. Le résultat du scrutin qui a eu lieu le 1er septembre ne laisse aucun doute. Réélu avec quasiment le double de voix que lors de la précédente élection, M. Tanaka dispose d’une légitimité renforcée qui va lui permettre d’aller plus loin dans ses réformes. Nul doute que pour M. Koizumi plus rompu aux beaux discours qu’à l’action concrète, il est préférable d’aller prêcher la bonne parole en Corée du Nord que de battre la campagne japonaise. Toujours est-il que le voyage à Pyongyang sera de courte durée et que cette escapade “historique” ne permettra pas au Premier ministre de fuir ses responsabilités. Depuis son accession à la tête du gouvernement, il a évité d’attaquer de front les grands dossiers, au premier rang desquels les réformes structurelles indispensables à la remise en route de l’économie nationale. De peur de devoir affronter la colère de tous ceux qui ont profité du système jusqu’à présent, M. Koizumi a pris soin de trouver des compromis satisfaisants pour les profiteurs. Son attitude lors de l’affaire Tanaka du nom de l’ancienne ministre des Affaires étrangères, Tanaka Makiko, en dit long sur la capacité du Premier ministre à donner le change à la bureaucratie et aux politiciens qui se sont lovés au creux d’une énorme machine. Il a sacrifié sa principale alliée sur l’autel de la compromission bureaucratique. Pourtant, la mise à plat de l’ensemble des blocages administratifs avait été au centre de la campagne menée par M. Koizumi avant qu’il ne soit élu à la tête du Parti libéral démocrate et ne prenne de facto la place de Premier ministre. Il avait fustigé ses prédécesseurs accusés d’immobilisme. En rendant visite à Kim Jong-il, étalon en matière d’immobilisme bureaucratique, Koizumi Junichiro montre qu’il a perdu son sens de l’orientation. Claude Leblanc |
Un de ces bateaux nord-coréens qui gênent Tokyo |