Miyazaki (aujourd’hui âgé de 61 ans) et sa fidèle équipe du Studio Ghibli, y compris Joe Hisaishi pour la musique, ont cette fois pris comme héroïne, mi-réelle, mi-imaginaire, une fillette de dix ans, Chihiro, qui, ayant emprunté un mystérieux tunnel alors qu’elle s’était égarée avec ses parents, se retrouve littéralement dans un autre monde, tandis que ses parents, ayant trop englouti de victuailles dans une ville-fantôme, sont transformés en porcs… Chihiro découvre alors un très étrange Sento (bain public) peuplé d’anciens dieux fatigués, où les nouveaux venus sont changés en animaux avant d’être dévorés, et où règne une sorcière diabolique, Yubaba (doublée d’une sœur jumelle, Zeniba!), qui veille jalousement sur un bébé géant, Bô. Afin d’éviter d’être mangée, Chihiro, qui va être rebaptisée Sen (même caractère que CHI-hiro) va devoir travailler et découvrira ainsi l’extraordinaire univers des dieux et demi-dieux (kamigami), rencontrant entre autres un très curieux et boulimique personnage sans visage (“Kao-nashi”), des porcs, des dieux des rivières (“kawa no kami”), et d’autres créatures du très riche panthéon des kamigami, certains même totalement oubliés des jeunes, avant d’être enfin libérée avec l’aide du dragon/prince charmant Haku. D’une fabuleuse liberté créatrice, et d’une invention graphique foisonnante, Le Voyage de Chihiro est évidemment une fable sur le fossé entre le Japon moderne (boulimique) et le Japon ancien, enfoui dans une mémoire intemporelle, comme l’était déjà l’excellent Pompoko de son confrère Takahata Isao (1994, toujours inédit en France). Pour Miyazaki, le film est d’abord destiné aux petites filles : “J’ai fait ce film pour deux petites filles de mes amis, qui ont dix ans. Je ne voulais pas montrer quelque chose comme “la lutte du Bien et du Mal”, mais plutôt la vérité du monde. Il faut aussi que les petites filles découvrent le monde tel qu’il est, et non pas des situations trop simples, manichéennes!”. Et il ajoute: “Sen n’est pas spécialement jolie ou mignonne (kawaii). Elle est comme des millions de filles au Japon, mais celle-ci connaît une aventure très particulière, c’est ce qui la différencie des autres” (1). Particulière, en effet! Mais, grâce à l’imagination féconde de Miyazaki, puisant dans un formidable fonds culturel et folklorique, et des Studios Ghibli (à côté desquels s’est ouvert en 2001 un étonnant “Musée Ghibli” conçu comme un des films de l’auteur, et qui connaît un succès foudroyant) cette aventure de Chihiro/Sen (qui est en fait un peu la cousine de Chie, la petite peste/Jarinko Chie, de Takahata, 1981) sera sans doute partagée par des millions de spectateurs en France et dans le monde, qui y reconnaitront peut-être une version très nippone d’Alice au Pays des merveilles, de Lewis Carroll, déjà adapté au cinéma en 1951 par Walt Disney, dans un de ses meilleurs films. En tout cas, il est significatif que “l’artisan” Miyazaki entre tout de même dans la mondialisation par son succès, un peu comme Jean-Pierre Jeunet et son Amélie Poulain! A noter la sortie récente (27 mars) du dernier film de OSHII Mamoru, Avalon, film de science-fiction situé dans un proche futur, tourné en Pologne (pour des raisons économiques) et bourré d’effets spéciaux époustouflants, mais qui pêche par un scénario un peu improbable. On y retrouve cependant l’univers de l’auteur de Ghost in the shell, transporté dans une véritable fiction live. Etrange et fascinant, même si pas tout à fait réussi. Signalons aussi à nos lecteurs cinéphiles que la Maison de la Culture du Japon à Paris organise un hommage au cinéaste KUROSAWA Kiyoshi, sous le titre “Kurosawa, l’autre”, du 13 au 20 avril, avec certains films inédits, et des présentations par des critiques spécialisés. Sore ja mata, Max Tessier
|
SORTIES:
|