Ne vous êtes-vous jamais demandé d’où nous venaient certaines manies? Je veux parler de ces comportements insignifiants, ces petits actes anodins que l’on commet inconsciemment au quotidien, du genre mettre la main sur sa hanche quand on se lave les dents, se tenir la joue entre le pouce et l’index quand on réfléchit (il y a aussi ceux, comme moi, qui disposent le poing sous leur nez en fronçant les sourcils). Sans me lancer dans l’adaptation japonaise d’Amélie Poulain et sa série de “elle aime”, “elle n’aime pas” (ce serait marrant à faire, ça, pourtant), j’aimerais attirer votre attention sur une habitude typiquement japonaise: les courbettes, soit en quatre syllabes: pekopeko. L’image qu’on peut en avoir partout en Occident est bien souvent celle d’un comportement formel, systématique, voire dépourvu de toute franchise, et dont on n’oserait imaginer qu’il puisse un jour remplacer une bonne poignée de main à la française. Ces images de salarymen échangeant leur carte de visite ou celles d’employées en uniforme dans les grands magasins accueillant les clients courbette après courbette à tous les étages ont fait le tour du monde, en persuadant définitivement certains d’une soi-disant froideur du peuple japonais. Mais tout le charme de la courbette tient justement dans ce qu’elle a de machinal. Pratiquer les courbettes à répétition pousse forcément à une mécanisation du geste, à cette espèce de réflexe incontrôlé qui fait que certains étudiants de mon cours de français ne peuvent s’empêcher d’esquisser un mouvement de tête en avant au moment de dire bonjour. De même pour tous ceux qui, en pleine conversation téléphonique, semblent avoir oublié que de toute façon leur interlocuteur ne peut pas les voir et que leurs courbettes sont peine perdue. De quoi faire un film, je vous dis.
Pierre Ferragut