C’est avec une vive émotion que nous avons rencontré MENDA Sakae, l’un des principaux invités du Premier Congrès mondial contre la peine de mort qui s’est déroulé à Strasbourg du 21 au 23 juin de cette année. Vu de l’extérieur, ce vieux monsieur de 76 ans n’a rien d’exceptionnel. Et pourtant. Condamné à la peine capitale en 1951 pour un double homicide qu’il n’a pas commis, M. MENDA est resté incarcéré trente-quatre ans dans le « couloir de la mort » de la prison de Fukuoka, sa ville natale, située dans la grande île méridionale de Kyûshû. Trente-quatre ans pendant lesquels il a vécu assujetti à des conditions carcérales impitoyables, attendant d’être pendu au bout d’une corde après un procès bâclé et des confessions extorquées (lire plus bas), se réveillant chaque matin en se demandant si ce n’est pas son dernier jour. Trente-quatre années après lesquelles il fut finalement innocenté et acquitté, après plus de dix tentatives infructueuses pour obtenir un nouveau procès.
Dans n’importe quel grand pays démocratique, l’histoire de cet homme aurait probablement ébranlé le système judiciaire et occupé le devant de la scène politique et médiatique. Mais son témoignage n’a eu que peu d’écho dans l’archipel. Le gouvernement japonais, qui met en avant des traditions selon lesquelles « les condamnés doivent payer pour ce qu’ils ont fait », n’a en effet jamais envisagé d’étudier un moratoire sur la peine de mort, et vient même de réaffirmer son attachement au châtiment suprême, en dépit d’une mobilisation européenne sans précédent pour le contraindre à l’abolition des exécutions. L’opinion publique nippone – elle – ne se mobilise guère ou ignore le problème, résultat d’un manque d’informations sur la question, à laquelle la presse s’intéresse peu.
M. MENDA est ainsi l’un des très rares rescapés parmi les prisonniers condamnés à mort au Japon. Heureux d’avoir eu la possibilité de venir à Strasbourg pour raconter son histoire au monde entier, il est très actif et milite pour les droits de l’homme, parcourt depuis des années les écoles, donne sans relâche des conférences en faveur de la cause abolitionniste.
Il a bien voulu répondre à nos questions.
OVNI : Pouvez-vous nous expliquer dans quelles circonstances vous avez été arrêté ? M. MENDA : L’affaire remonte au 13 janvier 1949. Cinq agents de police se sont présentés à mon domicile et m’ont emmené avec eux sans aucune explication. Le trajet en voiture jusqu’au commissariat de la ville de Kumamoto a duré cinq heures, et nous y sommes arrivés en pleine nuit. J’ai ensuite subi à vingt reprises le même interrogatoire, mené chaque fois par un policier différent. Ces hommes, violents et sans pitié, m’ont tous battu et roué de coups de pieds. […] L’un d’eux m’a alors signifié qu’on me laisserait en paix si je faisais des aveux et si je signais une déposition reprenant points par points tous les détails qu’ils m’avaient donnés sur le double homicide dont j’étais accusé. Cet interrogatoire odieux et barbare s’est poursuivi, et j’étais pour ainsi dire sans connaissance quand ils m’ont fait signer un document de quinze pages dans lequel je reconnaissais ma culpabilité. C’est ainsi que j’ai été inculpé puis condamné à mort. OVNI : Quel a été votre sentiment en entendant la sentence de mort prononcée contre vous ? M. MENDA : Je n’ai pas du tout été affecté. Car je n’avais tué personne ! On m’avait arrêté et condamné à mort du jour au lendemain, mais je ne comprenais absolument rien à toute cette affaire. Je me sentais totalement étranger à tout ça ! J’étais persuadé que j’allais être relâché rapidement, et cette condamnation m’apparaissait alors comme une mauvaise plaisanterie. Mais je me trompais lourdement… OVNI : Quand avez-vous pris conscience de la gravité de votre situation ? M. MENDA : Après le procès, quand j’ai été placé dans une cellule d’isolement et que j’ai compris que cette zone de la prison était réservée aux condamnés à mort. […] Un jour, j’ai vu par la fenêtre de ma cellule un autre détenu passer dans la cour. Sur le coup, ça m’a marqué par ce qu’il était habillé tout en bleu et accompagné d’une trentaine de personnes. Quand ils sont revenus, le prisonnier n’était plus avec eux. J’ai réalisé à ce moment-là qu’il avait été exécuté, que la peine de mort était bien une réalité, et que j’allais subir le même sort que cet homme. […] Ça m’a complètement anéanti. OVNI : Comment avez-vous tenu le coup en prison pendant toutes ces années ? M. MENDA : Je crois que j’avais la foi. Un jour, on nous a distribué des exemplaires de la sainte Bible et des Évangiles. Ils étaient en très mauvais état, mais je suis tout de même parvenu à les lire. Ces écrits m’ont apporté tant de sérénité que je me suis converti au christianisme durant mon incarcération. Un prêtre venait en outre nous rendre visite. Il était canadien. […] Nous avons énormément parlé tous les deux, et il est le premier qui soit parvenu à me faire rire depuis ma condamnation. Cet homme m’a donné beaucoup de son temps et m’a encouragé à ne pas perdre espoir. Il m’a redonné l’envie de vivre ! OVNI : Comment avez-vous fait pour obtenir un second procès ? M. MENDA : En prison, il y avait une aide-soignante qui me témoignait de la sympathie. Elle croyait fermement en mon innocence, et c’est elle qui m’a expliqué qu’il était possible de faire une demande de révision, même pour les condamnés à mort. Si elle n’avait pas été là, je n’en aurais jamais rien su. Je suis aussi devenu ami avec un détenu, purgeant une peine de courte durée, qui était un ancien membre du parti communiste. Par un heureux hasard, il avait dans sa famille des fonctionnaires hauts placés dans le système carcéral… J’ai pu obtenir des renseignements supplémentaires sur le droit pénal grâce à lui. Par la suite un membre du Secours catholique m’a offert son aide. […] Il s’est chargé de rassembler tous les éléments possibles afin de prouver que mon interrogatoire avait été entièrement truqué. Il a aussi mis sur pied un groupe de soutien qui, année après année, a fait pression sur les autorités pour que ma condamnation soit reconsidérée. C’est ainsi que nous avons fini par obtenir gain de cause. OVNI : Vous avez été remis en liberté. Quelle a été l’attitude du gouvernement japonais à votre égard ? M. MENDA : Je tiens à préciser que, s’il y a bien eu révision du procès, je n’ai pas encore été officiellement innocenté. Je n’ai reçu aucune indemnité de la part des autorités. Et pas la moindre excuse. Les policiers qui m’ont arrêté et le juge qui m’a condamné m’ont ignoré et ne m’ont jamais fait part du moindre regret. OVNI : Selon vous, l’abolition de la peine de mort va-t-elle s’étendre au Japon dans un avenir proche ? M. MENDA : Je n’ai aucun espoir pour le moment. Je pense que cela prendra beaucoup de temps pour faire évoluer les mentalités au Japon. C’est triste à dire, mais je ne considère pas que ce pays soit vraiment une démocratie. En venant en Europe, j’ai pris conscience que mon pays accusait beaucoup de retard en matière des droits de l’homme.
Clément BONNIER & FUNAKOSHI Noriko
Photo: M. Menda lors de notre entrevue. prise par Y. Matsumoto