Parmi les nombreuses images que l’on peut se faire du Japon de ces dernières décennies, celle de ces Japonais somnolant dans les transports en commun a la vie dure. Il faut les voir aujourd’hui encore, ces salary-men et autres office-ladies avachis sur leur banquette, la nuque prête à se défoncer à tout moment. En fin de soirée, après une longue journée de labeur conclue par une non moins longue séance de beuverie, le spectacle du cadre costard-cravate tiré à quatre épingles agrippé à tout ce qu’il peut dans sa lutte contre le sommeil fait toujours son petit effet. Avec ses allures de pantin de latex s’étirant au maximum dans toutes les directions et irrésistiblement attiré par le sol, il nous rappelle avec une efficacité redoutable les lois de la pesanteur. Tombera? Tombera pas?… Autre cliché, plus dans l’air du temps cette fois: la génération “mange-partout” pour laquelle il n’est plus question de se retenir quand on a faim dans les transports en commun. Ça y va du sandwich au paquet de chips aux crevettes, en passant par l’irremplaçable boulette de riz (onigiri). Les adeptes de la soupe de nouilles instantanée participent aussi à cette petite révolution des mœurs en répandant dans tout le wagon cette odeur de bouillon bon marché identifiable au premier coup de narine. On comprend que cette nouvelle génération passe aux yeux de leurs aînés pour des empêcheurs de dormir en rond mal éduqués. Les vieux habitués de la sieste leur préfèreront sans hésitation les jeunes roupillards en herbe affalés sur les banquettes, avec une mention spéciale pour celui, encore peu courant, avachi par terre et bercé au rythme d’un ronflement pour le moins démotivant: gûgû.