Non content d’être le correspondant permanent du “Monde” au Japon, et de publier régulièrement d’excellents articles de fond sur son pays d’adoption, Philippe Pons est aussi écrivain, auteur de maints ouvrages sur la culture populaire et l’histoire nippone (parmi les derniers, “D’Edo à Tokyo”, et “Misères et crime au Japon, du XVIIème siècle à nos jours”, tous deux chez Gallimard). Où trouve-t-il le temps?! Il vient de publier au Seuil un très beau volume richement illustré, sur un sujet qui, pour être à la mode, n’en est pas moins sérieux, le corps tatoué au Japon, joliment intitulé “Peau de brocart”. Il nous apprend donc, dans le style érudit et chatoyant dont il a le secret, que le tatouage, originellement pratiqué comme un châtiment corporel (tradition venue évidemment de Chine) infligé aux criminels, mais aussi aux “eta” et “hinin”, devient rapidement une mode qui culminera à l’époque Edo (dès le XVIIIème siècle), et connaîtra ses maîtres, dont l’art magnifique fut popularisé par les estampes de Kuniyoshi, Kunichika, Toyokuni II, et bien d’autres. Les reproductions de certaines de ces estampes, souvent érotiques, laissent songeur… Pons nous rappelle aussi (pages 17/18) la distinction qu’il convient de faire entre les termes “irezumi” (Litt. “introduire l’encre”), “horimono” (“chose gravée”, ce dernier désignant uniquement les tatouages décoratifs), ou “shisei” (“piquer du bleu”), mot plus récent utilisé par l’écrivain Tanizaki dans ses nouvelles. Dans le second chapitre, “La tribu des tatoués”, l’auteur étudie la lignée des maîtres dès le XVIIIème siècle, comme Horigoro, Horiyoshi, Horikuni, Horibun, etc, réunis par le kanji “hori”/ graver), et l’évolution des tatouages après la guerre, généralement associés à la pègre (yakuza) ou aux prostituées, notamment celles des onsen (sources thermales).Dans le troisième, il aborde les “beautés secrètes”, essentiellement celles des femmes à la peau gravée, en soulignant “le rapport complexe entre le tatoueur et la femme tatouée”, en littérature (“Shisei” de Tanizaki) ou au cinéma (“La femme tatouée”, de Takabayashi, 1982, ou “Irezumi”, de Masumura, 1966, par exemple). Et de conclure en remarquant que “les hommes et les femmes à la “peau de brocart” quant à eux, continuent à former un monde marginal, ramassé dans les zones d’ombre de la société”. Entre érotisme, marginalité et rituel, le tatouage japonais est dévoilé dans tous ses états, dans cet ouvrage qui égale les meilleurs du genre en langue anglaise (comme ceux de Donald Richie ou Ian Buruma). Bref, si vous voulez céder à la mode du tatouage actuel, consultez toutes affaires cessantes ce “petit livre rouge du brocart”, vous ne le regretterez pas (et n’oubliez pas de lire le texte superbe, même si les illustrations vous fascinent trop!). Max Tessier |
Peau de brocart
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HIROSHIMA NAGASAKI où la fin de l’Empire Divin ? |
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Le 6 et le 9 août 1945, deux bombes atomiques sont lâchées sur les villes d’Hiroshima et de Nagasaki, tuant un nombre incalculable de civils et annonçant la capitulation sans conditions du Japon. Fallait-il, pour gagner la guerre, recourir à l’arme atomique ? Pourquoi bombarder Nagasaki après Hiroshima s’il suffisait de convaincre des effets dévastateurs de la bombe ? Quels étaient les objectifs réels des dirigeants américains ? Dans cet ouvrage, Michel Herubel, historien spécialiste de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre du Pacifique, tente d’apporter des réponses à ces questions toujours controversées. La première partie du livre («Une réalisation infernale»), aborde en détail les points suivants : la mise au point de la bombe par les savants (première réaction en chaîne, désaccords sur le fait d’utiliser l’arme au détriment de vies humaines) ; mais aussi la construction de son vecteur, le bombardier B-29, appareil gigantesque pour son époque, dont les coûts de réalisation dépassèrent ceux du projectile atomique; et enfin la décision du largage des deux engins, qui scella le sort d’Hiroshima et de Nagasaki. La seconde partie («Un demi-dieu en pardessus») est consacrée à la reddition du Japon, présentée comme une catastrophe d’ampleur nationale. L’auteur traite notamment de l’empereur Hirohito, des questions en suspend quant à son rôle décisionnaire pendant le conflit, de sa protection et de son maintien par les Américains pour sauvegarder l’unité nationale du Japon, puis du calvaire des hibakusha, les irradiés d’Hiroshima et de Nagasaki. Jusqu’à ce jour, la controverse continue sur la question de savoir si l’utilisation de ces bombes contre le Japon était vraiment nécessaire pour hâter la fin de la guerre. À ce titre, ce livre saura intéresser tous ceux qui veulent en savoir plus sur la question. On regrettera toutefois le grand nombre d’erreurs dans la transcription des termes et des noms japonais. Clément Bonnier |
HIROSHIMA NAGASAKI Michel HERUBEL, Presses de la Cité, 1996, 229 p., 110 frs
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