L’arrestation, mercredi 8 novembre, de Shigenobu Fusako, leader charismatique de l’Armée rouge japonaise plonge l’Archipel dans un passé tourmenté qui n’est pas si lointain. L’échec du mouvement étudiant en juillet 1969 et l’opposition au Parti communiste avaient favorisé la création de plusieurs groupes d’extrême gauche dont la Faction armée rouge (Sekigunha) qui vit le jour en mai 1969. Pour ses membres, le recours à la violence et aux actes terroristes restaient alors les seuls moyens d’expression. En mars 1970, certains d’entre eux détournèrent d’ailleurs un appareil de la Japan Airlines (JAL) vers la Corée du Nord, premier acte de ce genre enregistré au Japon. D’autres se rapprochèrent des groupes pro-palestiniens et formèrent, en février 1971, l’Armée rouge japonaise (Nihon Sekigun) qui devint alors l’un des soutiens actifs du FPLP (Front populaire de libération de la Palestine) en commettant plusieurs actes terroristes retentissants comme la fusillade à l’aéroport de Tel Aviv en mai 1972 ou le détournement d’un DC8 de la JAL en septembre 1977, grâce auquel ils obtinrent la libération de 9 de leurs camarades emprisonnés et une rançon de 6 millions de dollars. Les activités de ces groupes déclinèrent au fur et à mesure des progrès enregistrés dans le processus de paix au Moyen-Orient. Au Japon, les éléments restant regroupés au sein de l’Armée rouge unifiée (Rengô sekigun) virent très vite leur influence réduite à néant après les nombreuses arrestations qui suivirent la prise d’otages de février 1972. Installée au Liban, Shigenobu Fusako était recherchée par la police pour sa responsabilité dans l’attaque de l’ambassade de France de La Haye aux Pays-Bas au cours de laquelle l’ambassadeur français avait été retenu plusieurs heures. Comme le remarque l’Asahi Shimbun, il sera “difficile de prouver son rôle dans cette action dans la mesure où elle n’y a pas participé directement, n’en étant que l’instigatrice”. Quoiqu’il en soit l’arrestation de celle qui fut l’une des femmes les plus recherchées du Japon dans un petit hôtel non loin d’Osaka soulève de nombreuses questions concernant notamment les circonstances de son entrée sur le territoire nippon. Elle marque également la fin d’une période tragique de l’histoire nippone. A l’instar de l’Allemagne avec la Fraction armée rouge, de l’Italie avec les Brigades rouges et de la France avec Action directe, le Japon se devait de tirer un trait sur cette phase historique en traduisant devant la justice les responsables des violences qui secouèrent l’Archipel et le reste de la planète. Certains peuvent estimer que le cours de l’histoire a déjà fait ce travail en obligeant les groupes terroristes issus des mouvements contestataires des années 60 à se ranger et à vivre reclus de peur d’être rattrapés par la police. Mais en réalité, rien ne vaut le passage, même symbolique, devant les juges pour que les Japonais regardent en face leur passé même récent. Car l’Armée rouge japonaise et ses actions macabres doivent être analysées et remises dans le contexte historique de l’époque. Il est indispensable que le Japon fasse ce travail de mémoire pour mieux saisir ce qui s’est passé depuis. Il permettra peut-être de comprendre l’évolution du rejet des institutions japonaises héritées de la guerre qui s’est traduit par la violence dans les années 70 et qui aujourd’hui prend la forme d’un désengagement des jeunes Japonais vis-à-vis de la chose publique. Le procès de Shigenobu Fusako, s’il a lieu, ne donnera sans doute pas toutes les réponses mais il offrira une bonne occasion aux Japonais de revenir quelques années en arrière et de s’interroger sur les raisons qui ont poussé plusieurs dizaines de jeunes à choisir la violence comme moyen d’expression. Agée de 55 ans, la chef de file terroriste n’a, semble-t-il, pas perdu de son énergie. Encadrée par des policiers, elle a crié aux journalistes présents qu’elle entendait bien “poursuivre le combat”. Dans son dernier roman, Murakami Ryû imagine des adolescents japonais quittant l’Archipel pour rejoindre les rangs de combattants en Afghanistan. Il s’agit certes d’une fiction mais elle traduit un malaise profond de la société nippone. Il y a 30 ans, Shigenobu Fusako et ses camarades choisissaient aussi de se lancer dans le combat pour changer la société. Ne dit-on pas que l’histoire se répète ? Claude Leblanc |
Shigenobu Fusako lors de son arrestation |