Chaque été, la région du Tohoku, dans le nord du Japon, s’offre une ambiance de chaleureuse folie avant de replonger dans les longs mois enneigés de l’hiver. Entre le premier et le 15 août, Aomori, Akita et Sendai se relaient pour des festivals réputés depuis des décennies pour être les plus importants de cette région.
Hachinohe, ville portuaire de 250 000 habitants au sud de la préfecture d’Aomori, est la première à ouvrir les festivités avec son imposante Fête des Trois Temples “Hachinohe Sansha Taisai”. Les récoltes de l’année 1721 ayant été particulièrement bonnes, le seigneur local organisa une procession pour que la divinité Shinto du temple local d’Ogami puisse rendre visite au temple de Shinra non loin où résidait le Dieu de ses propres ancêtres. Placé sur un luxueux autel portatif, le dieu fut donc conduit chez son illustre congénère ce qui occasionna trois jours de réjouissances inoubliables. 280 ans plus tard, les habitants d’Hachinohe célèbrent toujours cet épisode épique de leur histoire en organisant un défilé de chars qui n’a sans doute rien à envier aux festivités d’alors. D’autant plus qu’à partir de 1824, un autre seigneur des lieux, mégalomane et flamboyant, avait donné une nouvelle dimension à la procession. Cherchant à épater les potentats voisins, il fit venir spécialement de la capitale impériale de luxueuses poupées qu’il fit placer sur des chars, ordonnant également à son armée de prendre part au défilé. Il ne fallut plus que la participation du troisième grand temple de Hachinohe pour que la fête prenne sa dimension actuelle.
Chaque année entre le 31 juillet au soir et le 3 août bien tard dans la nuit, les rues de Hachinohe résonnent aux sourds battements des tambours et vibrent au sifflement perçants des flûtes. Construits par les associations de quartiers, chacune sous la direction d’un maître d’œuvre au savoir-faire incontesté, chaque char, ou “Dashi” mesure 11m de long sur 5m de large et autant de haut. Chaque quartier puise son inspiration dans la mythologie, les hauts faits historiques, les scènes de kabuki ou les contes populaires pour concevoir et réaliser le char le plus original. Sur chaque char, une vingtaine de mannequins de taille humaine sont habillés en samouraï, en princesses ou en courtisane. Des tigres ou des dragons en polystyrène, plus vrais que nature, surgissent du décor, une baleine même, presque aussi grande qu’une vraie, semble bondir hors des flots. C’est une débauche d’or et de couleurs vives, d’artifices et d’ingéniosité. Les enfants et habitants de chaque quartier, fiers de LEUR char, précèdent l’incroyable véhicule en jouant de la musique, saluant au passage la foule massée sur les trottoirs sous un soleil de plomb.
La principale difficulté de l’entreprise est d’adapter la taille phénoménale des chars à l’étroitesse des rues japonaises, encombrées de surcroît en hauteur par des câbles électriques apparents et des feux de circulation. C’est ainsi qu’à l’approche d’un carrefour, samouraïs, déités et héros légendaires baissent tous la tête tandis que les flancs sont rabattus sur les côtés.
La nuit venue, chaque Dashi gagne le parking ou la place publique qui lui sont alloués et une autre forme de festivité commence. Gens du quartier, curieux de passage, amis, tous se retrouvent autour du char pour des libations rythmées par le son des tambours ou des flûtes. Chacun monte sur le char à tour de rôle, et entre deux chopes de bière, s’essaye aux percussions. À minuit tapant pourtant, souvent en plein milieu d’une ovation, la musique s’arrête brusquement. Même un soir de fête, il faut respecter le repos des riverains; de toute manière, la journée a été longue, et le lendemain, il faudra bien remettre chemise blanche et cravate pour aller travailler. Mais impossible après avoir participé à une fête pareille de considérer les salaryman du même œil.
Etienne Barral